Les lions diffamés
d’un lion mort, terrassé. Ceux qui mouraient en prison avant qu’ils eussent payé leur rançon étaient figurés sans éperons, sans heaume, sans cotte, sans épée, le fourreau d’icelle seulement ceint et pendant à leur côté. Le chien aux pieds d’un chevalier indiquait qu’il était mort en temps de paix. La cotte d’armes alors était déceinte et la tête nue.
— Un lion, mon oncle… et une hache…
— Une hache ?
La hache indiquait les combats singuliers. Si le défunt avait été vainqueur, il tenait sa hache entre les bras, le bras dextre croisé sur le senestre ; s’il avait été vaincu, la hache était hors de ses bras, couchée près de lui, et le bras senestre croisé sur le bras dextre.
— Je crois que c’est l’arme qu’il vous faudra manier, mon oncle… et si vous succombez, vous l’aurez dans vos bras.
— Tu fais erreur, mon neveu. Je mourrai l’épée au vent. Je me suis vu souvent, dans mes sommeils légers, trépasser cette arme à la main… Je ne sais contre qui mais c’était un Anglais.
— J’aimerais, mon oncle, avoir un lion sous mes talons !
Ogier se retint d’avouer qu’il avait peur. Et cette peur se développait en lui plus vélocement qu’à l’Écluse.
— Tu n’as pas l’âge d’avoir ta figure au-dessus d’une tombe, mon neveu. Moi si. N’est-ce pas ce que tu penses ?
Afin d’éluder cette question, Ogier se pencha vers les Anglais et leurs alliés. Il frissonna. En d’autres lieux, au temps de Merlin et Viviane, leur fixité de pierre et leur silence eussent pu procéder d’un enchantement. Or, ces corps, ces visages, ces armes même qui çà et là semblaient pétiller au soleil, sécrétaient une seule et même calamité : la male mort. Il fallait s’y préparer.
— Je vais aller prier, mon oncle. Venez-vous ?
— Crois-tu que Dieu, céans, nous réserve un miracle ?
La réponse était non. Pour ne point la fournir, Ogier s’en alla, morose, à la chapelle. En cet instant, ce qui le réclamait, c’était le plaisir plus encore que la sérénité des voûtes et des ombres tout imprégnées de la gloire divine. Mais Anne était perdue pour lui à tout jamais.
Là-haut, la robe de Tancrède flottait toujours. Une robe couleur d’oriflamme : rouge sang.
ANNEXES
ANNEXE I SUR LA BATAILLE DE L’ÉCLUSE
Avant d’entreprendre la description, d’ailleurs succincte, de la bataille de l’Écluse, Jean le Bel prend soin de rappeler le rôle d’attaquant de Philippe VI de Valois.
Le roy de France fist durement renforcer son armée sur mer [255] dont messire Hues Kyrès estoit mareschal et gouverneur, avecques ung marinier que on appelloit Barbevaire, et firent plusieurs envayes et escarmuches sur les Anglois et gaignèrent de belles naves que le roy d’Angleterre avoit fait faire par grand devis, entre lesquelles en y avoit une que on appalloit Cristofle, et d’autres plusieurs plaines de laines et d’aultres marchandises que le roy envoyoit par deçà, dont les François furent moult joyeux et en firent très grande feste à grandes parolles, et tant en furent les Anglois plus courrouchiez.
Le chroniqueur confirme que Hue Kieret avait pour mission d’intercepter la flotte anglaise :
Il poursuivy tant ce noble roy (Édouard) que il le consuivy droit entre l’Écluse et l’isle de Cagant, siques on veoit plainement les batailles et les assaulx des diges et du port de l’Excluse. Cette bataille fut si grande que on n’avoit ouy parler de si grosse sur mer, et dura dès l’eure de prime jusques à vespres.
Les Françoys avoient de navires la moitié plus deux fois que les autres, et si avoient une grosse nave que on appelloit Cristofle, qui pouoit destruire moult de petites, aussy fist elle moult dommages aux Anglois, et se Dieu ne leur eust aidié, ilz n’avoient pas pouoir ni esperance de resister aux Françoys.
Jean le Bel ajoute que la mer rejeta 30 000 cadavres sur la rive de l’Écluse et Cagant [256] .
Froissart met en scène 720 gros bateaux « sans les hokebos » (ou petites barques), ce qui semble exagéré, mais le nombre de 40 000 Français semble exact puisque la mer rejeta 30 000 corps. Tous trépassés par blessures ? Non. Que l’on songe à ceux qui ne savaient point nager et à la pesanteur d’un équipement de ce temps-là.
Côté anglais, ce fut Édouard III qui commanda en chef. On peut imaginer le soin qu’il mit à protéger une nef pleine de comtesses,
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