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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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et, tourné vers Ogier :
    — Si les Goddons accèdent au Christophe, n’attends pas : saute à l’eau. Une fois à terre, garde-toi des Flamands et, s’ils te prennent, feins d’être sourd et muet.
    — Pourquoi, Père ?
    — Depuis plus de trente ans qu’ils guerroient contre nous, ils ont imaginé une astuce pour découvrir ceux de chez nous. Faire dire à tout suspect d’être de France : Schild end Vriend… Je le dis fort mal : eux seuls sont capables de prononcer ces trois mots « à la flamande », et c’est pourquoi je te fournis ce conseil.
    — Et si je reste libre ?
    — Fie-toi au soleil pour regagner Gratot. Chaque soir à son coucher, il te montrera la voie. Déplace-toi la nuit… Si tu cours tout au long des rivages de mer, défie-toi des bougues [54] . Une fois rendu, protège ta mère et ta sœur.
    — Oui, Père.
    — J’ai peut-être eu tort de t’emmener.
    — Ne pensez plus qu’à vous. Essayez de dormir.
    Godefroy d’Argouges saisit la main de son fils et la serra très fort :
    — Si je meurs, fais-moi honneur. Veille toute ta vie au respect de nos lions… Et si tu as besoin d’aide, va trouver Robert Bertrand à Bricquebec ou Fauvel de Vaudencourt… sans oublier le seigneur de Marigny auquel nous avons fait aveu.
    Quelque chose brillait entre les cils du chevalier. Ce pouvait être aussi bien une larme que le reflet d’une étoile.

III
    L’aube vint, révélant peu à peu les Anglais immobiles et silencieux dans des brumes cuivrées qu’un vent de nord-est dissipait. Justifiant les prévisions de Godefroy d’Argouges, ils s’étaient approchés à la faveur des ténèbres.
    — Bon sang ! s’écria Blanquefort, regardez !
    Les galères de Barbanera s’éloignaient. Le mercenaire semblait fuir le combat avant même qu’il eût commencé.
    — Tête-Noire dérape ! cria Blainville à l’avant du paradis. Ah ! je le ferai pendre.
    Aucun homme, sur le Christophe, ne parut partager sa fureur. Au contraire : il y eut des rires. Il n’était pas prouvé, en effet, que le Génois refusait la bataille.
    Patiemment, l’on attendit. Quelque temps avant midi, Ogier vit se détacher de la flotte ennemie une galiote aux voiles rouges sur laquelle trois léopards semblaient bondir au vent. La manœuvre était claire :
    — Voyez, dit Godefroy d’Argouges à ses compagnons : ils vont attaquer la Riche. Ils l’ont jugée petite et mal armée, ce qui est vrai.
    — Qui la commande ? demanda Ogier.
    — Guillaume de Gromesnil… Il me semble que cette galiote est bourrée d’écuyers avides de gagner leur chevalerie… et qui peut-être ont désobéi : c’est folie d’agir ainsi quand on a deux cents coques derrière soi.
    Des grappins volèrent. La galiote se serra contre la Riche. Une grêle d’hommes de fer s’abattit sur le pont du vaisseau normand cependant que les guerriers de Gromesnil attaquaient par l’avant la coque adverse. Le Christophe était trop éloigné de ce combat pour que ses passagers pussent en suivre les péripéties. Ils virent toutefois du feu se propager sur le pont du bâtiment anglais et dans ses soutes tandis que la Riche se détachait soudain de son agresseur. Bientôt, la galiote tout entière fut embrasée.
    — Elle coule ! s’écria Ogier.
    — Voyez, dit Blanquefort. Nos compères jettent les Goddons à la mer… Cela me semble un heureux présage.
    Godefroy d’Argouges resta silencieux. Les Anglais continuaient leur manœuvre. Face à l’est, le soleil dans les yeux, Édouard III avait dû commander qu’on amenât d’un quart à tribord. L’abatée ne suffisant pas pour gagner le vent qui soufflait du nord-est, il vira de nouveau.
    — Que font-ils ? demanda Blanquefort.
    — Édouard détrit un petit peu… Il me paraît certain qu’il attend la marée [55] .
    L’intention des Anglais paraissait tellement évidente qu’un hunier exprima l’opinion de tous en criant :
    — Ils partent ! Ils vont mouiller au-delà de l’Écluse !
    La manœuvre, effectivement, ressemblait à une retraite.
    Les Français et les Génois se bousculèrent sur le château d’avant du Christophe afin d’assister à ces évolutions qui les délivraient de leur anxiété. Après les insultes, les bourrades, les menaces nécessaires à quiconque voulait atteindre les garde-corps, ce fut sur le navire amiral, comme sur tous les autres, un moment d’accord total dans une liesse effrénée. Des cris fusèrent, des

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