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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’idée chrétienne en son âme qu’il entendait chez lui quatre messes par jour ? Frère Isambert disait qu’il était presque un saint…
    Éploré de nouveau à l’idée d’avoir perdu cet homme exemplaire, le garçon revit en pensée ce visage grave, ces yeux bruns, luisants comme l’eau tranquille des douves du château natal, et ce sourire tellement avare, mais dont il se doutait, lui, Ogier, qu’il s’épanouissait au-dedans de la bouche… Et maintenant qu’il y pensait, Godefroy d’Argouges était aussi à l’aise dans ses vêtements quotidiens que dans son harnois de guerre ! Au temps des gros travaux – les labours, la moisson, la fenaison – et quand le ciel se montrait hostile aux Normands, les harcelant de ses pluies et de ses tempêtes, le maître de Gratot affirmait que c’était un péché de dormir avant d’avoir tout accompli. C’était à lui, souvent, que revenait le dernier sillon, le dernier coup de faux, la dernière fourchée. Une entière rudesse vis-à-vis de soi-même, un réel mépris, parfois, de sa condition, et une endurance à peu près sans limite : ce chevalier-là savait se faire respecter sans pour autant être orgueilleux.
    — Je le vengerai, se promit Ogier à mi-voix. Chaque fois que je le pourrai, je tuerai un Anglais. Et je confondrai Blainville !
    Il se remit en marche. Il avait faim et soif. Il avançait doucement dans cette montée verte où piaillaient des oiseaux. Il s’arrêta près d’un ormeau, écouta les cris et le cliquetis des armes, semblables, tant ils étaient lointains, à des bruissements de feuillages. Il repartit puis s’arrêta, stupéfait, en voyant posés sur une murette aux pierres moussues deux chapeaux de fer à bord saillant, comme en portaient les archers d’Angleterre.
    Impossible de se méprendre : il y avait là deux guerriers, peut-être davantage. Ils ne parlaient pas. Ils devaient être dans un état de fatigue extrême, sans quoi ils eussent songé à dissimuler leurs coiffes et à placer un guetteur.
    Ogier fut près de rebrousser chemin, il ne le put : trois hommes gravissaient le sentier : deux Anglais et un captif qu’ils poussaient à la pointe de leur épée.
    Dans ce prisonnier titubant, Ogier, incrédule et tellement heureux qu’il en cria de joie, reconnut Godefroy d’Argouges.
    Les bras tendus, pleurant à gros sanglots, il courut au-devant de cet homme éprouvé, et quand il l’eut rejoint, il lui saisit les mains qu’il baisa l’une après l’autre.
    — Père !… Père !… Ah ! Dieu est bon.
    Il balbutiait tandis que d’un bras, le guerrier vaincu l’étreignait sans rudesse.
    — Ah ! Père, en quel état ces Goddons vous ont mis !
    Le seigneur de Gratot avait perdu son heaume. Une plaie large d’un doigt le marquait au front. Le sang qui en fluait barbouillait son visage. Son épaule senestre avait été atteinte ; de sa dextre, il la soutenait, engluant sa main de vermillon. Son haubert et sa cotte n’étaient plus que de sordides penailles, rougeâtres, noirâtres, après lesquelles pendaient des filasses d’herbes marines.
    — Père !… Je me désespérais en vous croyant noyé !
    Le chevalier sourcilla. Ses cils retinrent une larme, mais d’autres sur ses joues se teintèrent de rouge.
    — Sur mon âme, dit-il d’une voix affaiblie, rauque et tremblante, je ne pensais pas te revoir de sitôt ! C’est miracle !… Nous sommes tant à errer sur ces terres… Ah ! oui : Dieu est infiniment bon.
    — Avez-vous grand mal ?
    — Le mal n’est rien, mon fils, car tu vois : ils m’ont pris.
    Sous leur chapel de fer en forme de bassin, les Anglais, des jeunes au sortir de l’enfance, avaient des faces émaciées, livides. Leurs yeux légèrement vitreux reflétaient la lassitude et la terreur. Tous deux portaient des haubergeons démaillés. Leurs jambières gluaient de boue et de sanie.
    — Ainsi, dit Godefroy d’Argouges en marchant de nouveau, sans épée, toutefois, dans les reins, tu en as réchappé !
    Son visage désolé s’éclaira, puis se rembrunit brusquement. Sa voix devint furieuse et désolée :
    — Mais tu t’es fait prendre sottement !… Ces jouvenceaux sont enragés ! Ils peuvent nous occire !
    Le danger était-il là, vraiment, personnifié par ces guerriers en herbe ainsi que dans ces deux autres qui venaient d’enjamber le muret derrière lequel ils s’étaient mussés ?
    — Je vous sauverai, Père !
    Ogier s’élança

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