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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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Artevelde… à Gand…
    Au fond des prunelles brûlées de sueur et de larmes, une vision ressuscita :
    — C’est moi qui passais ses messages…
    — En Angleterre ?
    Un frisson secoua Regnault.
    — Maudit soit-il !
    Une extraordinaire expression de sérénité nettoya le visage imberbe des stigmates de la souffrance et de l’effroi. Regnault eut un mouvement des mains et s’aperçut qu’il ne flottait plus. Alors ses traits se contractèrent. Épouvanté, il sanglota :
    — Sauve-moi !… Sauve-moi !
    — Dieu est bon, malandrin, qui nous a mis en présence. Dis-moi : pourquoi Blainville va-t-il à Gand ?
    — Je ne sais… Il se peut qu’il y… rencontre Édouard… Il a tout fait pour le laisser parvenir sans encombre à l’Écluse… À un jour près, le roi passait… sans bataille… Le long séjour en mer… c’était pour ça.
    — Mon père s’en doutait !
    — Qui est-il ?
    — Godefroy d’Argouges !
    — Venge-moi ! Venge-moi !… Ton père…
    Regnault eut une sorte de râle et devint mou. Ogier le lâcha et s’en éloigna comme d’une pourriture.
    — Que Neptune te dévore !
    Le moribond s’enfonça en remuant à peine.
    — Allons, grogna le jouvenceau, j’en ai appris suffisamment. Nul ne me croira si je révèle maintenant ce que je sais ! Et si Blainville apprend que je connais ses forfaits, c’en sera fait de moi !… Mais je le confondrai !… J’ai tout mon temps !
    Et sans plus se soucier des flèches, de l’eau visqueuse et des corps éparpillés, le garçon brassa vigoureusement vers la terre.

V
    Sitôt qu’il eut atteint le rivage de sable, Ogier sentit ses forces et sa volonté s’amenuiser brusquement : il était perdu, à la merci d’ennemis impétueux dont il ne pouvait soupçonner ni la présence ni le nombre. Toutes ses pensées lui paraissaient inconsistantes. Au tréfonds de son âme il sentait comme un glas. C’était celui de sa jeunesse prime plus encore que celui des trépas auxquels il venait d’assister.
    Son cœur lui faisait mal, et ses bras, ses épaules. L’incertitude le rongeait tout autant que la fatigue. Quelque chose se fanait en lui sans qu’il sût quoi. Il s’était comparé à un fauve indompté lorsque seul, à Gratot, il maniait les armes dans l’espérance que son père apprécierait ses coups et ses astuces. Il pouvait mépriser cette naïveté !
    Un seul recours importait désormais : fuir, ce qui, présentement, ne serait point une lâcheté. Préserver sa vie devenait un acte honorable s’il l’assortissait du besoin de se venger de Blainville.
    « Mais de quel côté ?… À dextre ? À senestre ? » Regardant le soleil qui s’inclinait déjà, il partit résolument sur sa droite, enjambant ou contournant des corps, indifférent aux plaintes et aux menaces que ces survivants incapables de marcher exhalaient à son passage. La mort s’abattait aussi sur cette multitude épuisée où vainqueurs et vaincus se confondaient dans une même souffrance, un même accablement, un dégoût insurmontable de la guerre.
    Plus loin, à deux ou trois toises du rivage, des Français et des Castillans, tout ahuris d’avoir survécu au massacre, rabrouèrent ce bec-jaune qui, se faufilant parmi eux, demandait :
    — L’un de vous connaissait-il Godefroy d’Argouges ?… L’a-t-il vu ? Sait-il où il est ?
    Allongés ou titubants, prostrés çà et là, solitaires ou groupés par trois, quatre, quelquefois davantage, ils s’accordaient un répit avant se mettre en quête d’un refuge ; mais leur nombre et surtout leur lassitude et leur indécision leur porteraient un préjudice irréparable. Renonçant à les interroger, Ogier s’en éloigna aussi vélocement que ses jambes le lui permettaient. Seul, il ne pourrait retenir l’attention des Flamands dont il voyait déferler, sur l’écran des maisons grises aux toits noirs, les hordes hérissées de fer.
    — Ils nous attaquent à revers !… Les hideux ! Les saligots !
    Les vaisseaux flambaient, donnaient de la gîte, coulaient. D’incessantes fumées enfleuries de vermillon se boursouflaient dans l’azur.
    — Après tout, si Père est mort, il vaut mieux qu’il n’ait pas vu cette déconfiture.
    L’adolescent courut longtemps dans les dunes. À chaque bruit suspect, il s’accroupissait ou s’allongeait, jetait un regard autour de lui, et repartait, guidé par le soleil. L’angoisse, la faim, la fatigue, la fureur le

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