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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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maudit… Mais ne vont-ils pas nous occire ? »
    Il entendit Blainville s’esclaffer. Puis, comme elle grossissait par saccades nerveuses, l’hilarité du maître déclencha celle de ses serviteurs.
    « Les malandrins… Que Dieu les châtie comme ils le méritent ! »
    Il approcha sa joue du visage exsangue de son père et fut soulagé d’y sentir un souffle. Quand il se releva, un cheval était près de lui : le roncin de Blainville dont l’éperon, armé d’une molette énorme à cinq piquants, luisait à quelques pouces de son visage.
    Feignant d’ignorer ce redoutable talon de fer, Ogier dévisagea l’homme en noir. Aucun doute : le Normand exécré pourpensait une férocité nouvelle.
    — Que faisait ton père parmi ces Goddons ?
    — Il était leur prisonnier.
    — Voire… Tu veux dire, fils de pute, leur compagnon.
    Ogier accepta l’outrage. Plus il serait passif, mieux cela vaudrait. Dans le soir que le soleil tavelait de pourpre et de nacre, et sous un bassinet à vrai dire inutile, la face pâle, figée, attentive de Blainville, était celle d’un démon prêt aux pires cruautés.
    — Ton père est un félon. Je le croyais occis… Quel dommage !
    — Messire, protesta Ogier en se portant, les poings serrés, devant l’étalon noir dont les yeux globuleux l’observaient avec une attention aussi déplaisante que celle de son maître. Messire ! Par Dieu qui nous voit…
    — Laisse Dieu ! Il est loin !
    — Mon père a fait merveille lors de cette bataille !… Il est plus armeret [92] que vous même !
    — Ton père est un félon et je le briserai ! Je pourrais l’occire maintenant or, j’ai mieux à faire. Je remets à quelques jours un dessein qui m’est cher, mais peut attendre… Et je vais m’acquitter envers ton géniteur, sitôt hors de ce pays, d’une sorte de bienfait que je lui dois. Il va se repentir d’avoir trahi son suzerain, puis de l’avoir honni ainsi que sa famille !
    Blainville se tourna vers ses satellites :
    — Liez cet homme en travers d’une selle jusqu’à ce que nous trouvions un chariot pour le conduire en quelque geôle. Il en sortira plus plat et puant qu’une bouse.
    Ogier retint péniblement un cri de haine. Ainsi, assuré par avance de l’assentiment du roi auquel il relaterait les événements à sa façon, et confirmé dans ses dires par des témoins à sa solde, sinon à sa dévotion, Blainville allait obtenir une vengeance inespérée.
    — Eh bien, damoiseau ?… Tu restes coi !
    — Par contrainte et amour paternel, messire. Vous n’êtes point un homme auquel on peut parler.
    — Ton audace me plaît et te préjudicie… Sache-le, cependant, avant que je te punisse : aussi vrai que j’ai nom Richard, ton père ne restera pas longtemps chevalier : je vais le dégrader publiquement moi-même. Ensuite, seulement, j’aviserai le roi.

VII
    L’impitoyable cérémonie eut lieu le 4 juillet au matin, dans la haute cour du château de la Broye, à quelque quarante lieues de l’Écluse. Trois cents survivants de cette immense tuerie [93] s’y trouvaient réunis.
    Coupant à travers les campagnes, contournant prudemment les cités, les bourgs, les hameaux, les forteresses, et se fiant aux plus hardis comme aux plus matois d’entre eux, ces fugitifs étaient arrivés là par petits groupes exténués. Les sages s’étaient limités à une retraite nocturne pour s’enfoncer dès l’aube au plus profond des forêts afin d’échapper aux milices ennemies acharnées à leur poursuite. Marchant de jour dans leur hâte d’atteindre leur pays, les présomptueux avaient dû se battre et se battre encore, perdant ainsi, en d’inégales échauffourées, de valeureux compagnons. Tous s’étaient nourris d’herbe, de pissenlits, de fruits, de raves et parfois, crues, car le moindre feu les eût retardés ou trahis, de quelques bêtes de bois. Sitôt en terre d’asile, ils avaient mieux mangé, certes, et marché au soleil sans crainte des embûches, mais ils s’étaient vu accueillir en vaincus. Ils souffraient dans leur corps des coups portés par l’adversaire, et dans leur cœur de la réprobation ou du mépris de tous ces nobles et roturiers pour la sécurité desquels, tout de même, ils avaient combattu. Leurs visages blêmes ou tuméfiés, couenneux ou barbus, griffés de rides ou entamés par les tranchants des armes, leur œil hagard et leur bouche pincée sur des soupirs ou des gémissements, exprimaient

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