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Les lions diffamés

Les lions diffamés

Titel: Les lions diffamés Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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en ces murs. Il y avait dans cette vacuité comme une maladie de carence ; le symptôme que quelque chose dont il ne pouvait définir la nature était enraciné là. Sa perspicacité se trouvait en échec. Les courtines, percées d’étroites fenêtres de part et d’autre du bâtiment seigneurial, étaient partout ailleurs absolument aveugles. Quant au donjon, érigé en partie sur l’emplacement de l’ancien dont les pierres avaient dû être réemployées pour la construction des murailles, ses assises et le fossé destiné à sa protection laissaient déjà pressentir ses proportions arrogantes.
    « C’est étrange : Rechignac me plaît davantage du dehors que du dedans. »
    Il eût voulu s’enflammer ; il n’y parvenait pas. Rechignac l’observait de toutes ses archères. Au fond des orbites de pierre, des ombres remuaient. Avenantes ? Maléficieuses ? Une buse vint tournoyer au-dessus de la cour. Aussitôt, malgré la présence des hommes et des femmes, coqs, poules, canards coururent s’abriter. Les pigeons s’enfoncèrent dans les trous à boulins nombreux sur tous les murs. Rien de lugubre en tout cela. Il fallait s’en convaincre. D’ailleurs, la main de Guillaume se posait, réconfortante, sur une épaule un peu trop fléchie.
    — Viens, mon neveu. Allons au-devant de Mathilde. Je t’en ai parlé…
    Ogier se souvint qu’effectivement, son oncle avait prononcé ce nom à plusieurs reprises. D’après ce qu’il avait compris, cette femme régentait les chambrières et les filles des cuisines.
    — Holà ! Mathilde.
    Dans le visage joufflu, piqueté de son de la domestique, les yeux minces clignotaient, joyeux, et la bouche épaisse et rose béait sur un cri inaudible. Elle courait, penchée en avant, soutenant de ses avant-bras croisés les outres de sa poitrine.
    — Ah ! messire… messire…
    Elle était vêtue d’une robe grise au col largement échancré. Elle agitait ses mains blanches, potelées.
    — Enfin… Nous vous croyions morts. J’ai prié, prié pour que vous nous reveniez, messire, tel que vous êtes.
    Elle s’inclina dans une révérence où sa gorge charnue apparut presque tout entière, plus impudique encore qu’un fessier, auquel ainsi, elle ressemblait.
    — Allons, allons, m’amie… Nul doute que tu as bien prié, car c’est miracle que je sois de retour Relève-toi… Relève-toi, te dis-je !
    À en juger par la familiarité de cette femme rousse presque obscène dans le débordement de ses appas, et dont une tresse détorse couronnait la tête, Ogier comprit qu’elle régnait, à défaut du cœur, sur le corps de son oncle.
    — Qui est ce jouvenceau ? demanda-t-elle enfin sans la moindre aménité.
    — Ogier, mon nieps… Le fils de Luciane.
    — La femme du Normand ?
    Ogier perçut dans cette question une sourde malveillance. Mathilde avait dû connaître sa mère. Et la détester. Guillaume, contrarié, s’emporta :
    — Je n’ai jamais eu qu’une sœur ! Son fils est là pour quelques années. Fais-lui sans retard préparer une chambre. Je veux qu’il côtoie les autres le moins possible. Et désormais, traite-le comme tu traiterais le gars que je n’ai pas eu…
    Mathilde, un instant, parut tellement indignée qu’Ogier crut qu’elle allait protester : « Un fils ? Mais vous en avez un ! » ou « Que faites-vous de Didier ? » Guillaume, apparemment, s’en désintéressa. Prenant derechef son neveu par l’épaule, il l’entraîna au milieu de la cour.
    — Je le traiterai de mon mieux, messire ! cria la grosse femme en s’éloignant.
    Ogier, la regardant partir, s’interrogea. Comment allait-il vivre ici ?
    Des maçons, des charpentiers passaient. La plupart malgré la pluie, étaient torse et pieds nus boueux. Les uns tiraient ou poussaient un chariot plein de pierres ou de briques, les autres soutenaient à cinq ou six de longues poutres grossièrement équarries. On entendait partout des heurts de marteaux, de piques et d’herminettes. Et des poulies grinçaient, des palans couinaient tandis que s’élevaient çà et là, le long des murs, des mannes d’osier et des baquets si pleins qu’il fallait, au sol, trois ou quatre hommes pour tirer sur les virebouquets.
    — Il fait presque nuit. Quand cessent-ils cette besogne ?
    — Quand ils n’en peuvent mais.
    Ogier aperçut ses cousines. Elles s’entretenaient avec Blanquefort et Mathilde. Ils se mirent à parler avec de grands gestes et il sut

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