Les Mains du miracle
étaient ses honoraires.
Kersten indiqua la somme, toujours
la même, qu’il avait fixée pour chaque cure complète : 5 000 marks.
L’industriel fit un chèque. En le
mettant dans son portefeuille, Kersten vit que le premier chiffre inscrit était
le chiffre 1. Il eut un mouvement pour le faire remarquer à Rosterg. Et
puis une sorte de gêne, de honte pour tant de mesquinerie le retint.
« Toujours les plus riches à être les plus avares. Et après tout, je n’en
serai pas ruiné », pensa Kersten avec sa philosophie habituelle.
Le lendemain, il porta le chèque à
sa banque. Au moment où il quittait le guichet, le comptable le rappela :
— Docteur, docteur, cria-t-il,
vous avez oublié deux zéros dans votre fiche de dépôt.
— Je ne comprends pas, dit
Kersten.
— Ce n’est pas un chèque de
1 000 marks, mais de 100 000 marks, dit le comptable.
— Qu’entendez-vous par
là ? dit Kersten.
— Vous avez écrit 1 000
marks, dit le comptable.
— Eh bien ? demanda encore
Kersten.
— Mais, mais… voyons, docteur,
votre chèque est de 100 000 marks.
Malgré la sérénité olympienne qui
lui était propre, Kersten revint très vite vers la caisse. Le chèque de Rosterg
portait bien : 100 000 marks.
Kersten considéra quelques instants,
incapable de parler, le témoignage fastueux d’une gratitude qu’il avait prise
pour de l’avarice.
— Oui… oui… je suis un peu
distrait, dit-il enfin à l’employé.
Aussitôt rentré chez lui, Kersten
conta l’aventure à Élisabeth Lube. Elle lui conseilla d’employer cette fortune
subite à l’acquisition d’une terre. Ainsi, Kersten acheta le domaine de
Hartzwalde – trois cents hectares de prés et de bois – à soixante
kilomètres à l’est de Berlin.
2
On était en 1931. Hitler avait
maintenant un parti très nombreux, puissamment organisé, fanatique. Il disposait
de ressources inépuisables et de troupes entraînées et armées, prêtes à tuer
sur son ordre.
Roehm dirigeait les S.A.
Himmler commandait les S.S., garde
personnelle, janissaires et bourreaux du chef suprême.
Et lui, il hurlait d’une voix
toujours plus hystérique et plus assurée qu’il serait bientôt le maître de
l’Allemagne et ensuite de l’Europe.
Mais les hommes sont ainsi faits que
la plupart d’entre eux ne savent pas, ne veulent pas voir les signes funestes.
Kersten, en outre, n’avait aucun
goût, aucun intérêt, aucune curiosité pour la politique. Il ne lisait pas les
journaux. C’était par ses malades qu’il connaissait les nouvelles du monde.
Bonnes ou mauvaises, sa philosophie à leur égard était des plus simples :
« Quand on ne peut rien à quelque chose, se disait-il, y penser n’est que
perte de temps. »
Le sien était pris chaque jour
davantage par sa profession. À La Haye, à Berlin, les malades venaient chez lui
en si grand nombre que ses journées de travail commençaient à huit heures du
matin pour finir à la nuit. Il ne se plaignait pas, il aimait son métier, il
aimait ses malades. Il en soignait beaucoup sans réclamer d’honoraires.
Sa réputation grandissait toujours.
Depuis 1930, il se rendait chaque année à Rome, appelé auprès de la famille
royale [2] .
Dans les loisirs que laissait à
Kersten son activité à travers trois capitales, il embellissait sa maison de La
Haye par des toiles de vieux maîtres flamands, organisait son domaine de
Hartzwalde [3] et, à Berlin comme à La Haye, courtisait beaucoup de jolies femmes. Intrigues
suivies, entraînements passagers, liaisons plus sérieuses, ces aventures
s’enchevêtraient, se mêlaient, mais toujours aimablement, aisément, dans un
climat de romanesque facile, de gentillesse sentimentale et de bonne humeur.
Obligations et plaisirs absorbaient
Kersten au point qu’il ne s’aperçut même pas de l’arrivée de Hitler au pouvoir.
L’idole des chemises brunes occupait
depuis trois jours le poste de chancelier du Reich que Kersten l’ignorait
encore. Il l’apprit au hasard d’une conversation avec un de ses malades. La
nouvelle ne l’émut pas outre mesure. N’était-il pas citoyen finlandais ?
N’avait-il pas son domicile principal en Hollande ? Les malades
cessaient-ils de le consulter ? Les femmes de lui sourire ?
Il était heureux et bien décidé à le
rester.
L’année suivante, en 1934, au mois
de juin, Hitler, avec un sang-froid, une férocité, une perfection dans l’art du
meurtre qui donnèrent le
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