Les Mains du miracle
hantait
l’esprit de Himmler. La guerre. La guerre proche. La guerre imminente. La
guerre décidée sans appel par Hitler.
Et Himmler répétait comme une
litanie la leçon, le message suprêmes.
— Le Führer, disait-il, veut la
guerre. Le monde ne peut pas connaître une vraie paix avant que la guerre ne le
purifie. Le National-Socialisme doit éclairer le monde. Après la guerre, le
monde sera national-socialiste.
Et Himmler disait encore :
— Le pacifisme, c’est la
faiblesse. L’Allemagne possède la meilleure armée de l’univers. Et Hitler veut
façonner le monde avec son armée.
Au commencement, Kersten ne répondit
rien à ces discours. Il aurait voulu ne pas les entendre, ne pas y croire, les
tenir pour un effet du délire. Mais ils avaient le son de la vérité, de la
fatalité. L’illuminé sinistre qui allait déchaîner la plus effroyable
catastrophe, Himmler le voyait chaque jour. Il ne faisait que rapporter, comme
un disque, ses paroles. Et Himmler lui-même allait être, de cet homme, dans
cette catastrophe, et pour la part la plus ignoble, la plus impitoyable, l’un
des instruments essentiels.
Himmler – ce patient chétif,
qui gémissait sous les doigts du docteur et, ensuite, le considérait avec une
reconnaissance émerveillée, enfantine.
Peu à peu, Kersten se mit à répondre
à Himmler. Ce n’est point qu’il espérait changer quoi que ce fût aux événements
qui se préparaient. Mais il ne voulait pas que Himmler fût tenté de croire à
son approbation ou même à son indifférence.
Il dit sans retenue ce qu’il
pensait : la guerre était un attentat contre l’humanité et qui se
retournerait contre l’Allemagne elle-même ; un seul pays ne pouvait pas
l’emporter sur tous les autres rassemblés. Himmler n’avait qu’une
réponse : – Le Führer a dit…
9
Au milieu de l’été, Kersten, pour les
vacances, alla, par la route, jusqu’en Estonie. Sa jeune femme et leur petit
garçon, né l’année précédente, l’accompagnaient. Le temps était magnifique. De
La Haye, ils gagnèrent sans hâte leur propriété de Hartzwalde. Puis ils se
rendirent à Stettin, pour s’embarquer avec leur voiture à destination de Reval,
capitale de l’Estonie. Arrivés là, les voyageurs n’avaient plus beaucoup de
chemin à faire pour gagner Dorpat, où Kersten était né et où son père habitait
encore.
En roulant à travers les paysages de
son enfance, Kersten – pensait-il aux propos que Himmler avait tenus à
Munich ? – dit soudain à sa femme :
— C’est peut-être le dernier
voyage que nous faisons tranquillement ici.
Mais il ne lui était pas naturel de
s’attarder dans la mélancolie ou l’inquiétude. Il secoua la tête, haussa les
épaules et sourit.
Ils surprirent Frédéric Kersten dans
la petite propriété que les lois estoniennes lui avaient laissée, et courbé sur
la glèbe. À quatre-vingt-huit ans, il avait le même amour de la terre qu’au
temps de sa jeunesse et le même acharnement au travail. Il était encore si vert
qu’il demanda ingénument à son fils si, à son âge, il n’était pas dangereux
pour sa santé d’avoir des rapports sexuels deux fois par semaine.
Kersten était fier de son père. Le
vieil homme était fier de son petit-fils. Irmgard rayonnait de vitalité, de
gaieté. Ce furent des journées heureuses.
Sur le chemin du retour, en passant
par Stettin, Kersten et sa femme remarquèrent un grand changement dans les rues
du port et de la ville. Elles fourmillaient de soldats.
La Prusse-Orientale, que les
voyageurs traversèrent ensuite, ressemblait à un camp en armes.
La guerre que Himmler lui avait
annoncée, Kersten comprit qu’elle était là, sans fard, à nu. Les Allemands
allaient attaquer la Pologne.
Kersten revint à Berlin le 26 août.
Avant même de défaire ses bagages, il téléphona à Himmler pour l’avertir de son
arrivée. Leurs relations avaient pris une familiarité qui l’autorisait à cet
appel direct. Himmler se montra tout heureux d’entendre la voix du docteur.
— Venez, je vous prie,
immédiatement au Quartier Général, lui dit-il. Je vous attendais avec la plus
vive impatience. Mes crampes se réveillent. Sans vous, je serai très malade.
La crise ne faisait que commencer.
Deux traitements suffirent à la calmer.
Pendant les pauses, Himmler et
Kersten, ainsi qu’à l’accoutumée, parlèrent.
— Stettin et la Prusse
regorgent de soldats, dit le docteur.
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