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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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personnelle beaucoup plus nombreuse que n’importe lequel des grands chefs
nazis. Il se voulait sans cesse entouré, protégé. Il redoutait toujours les
attentats. L’homme qui rêvait d’être Henri l’Oiseleur vivait en état de panique
pendant les alertes aériennes ; il tremblait littéralement de tous ses
membres, de toutes ses jointures.
    Kersten traversa en habitué la salle
surpeuplée et bourdonnante de voix rudes. Les têtes ne se levèrent pas sur son
passage. L’hostilité contre lui était toujours vive, mais sa faveur bien
établie auprès du Maître imposait silence.
    Kersten trouva une place dans un
coin. Le directeur du mess, sous-officier d’élite, accourut aussitôt. Le
Reichsführer en personne lui avait ordonné de prendre du docteur le plus grand
soin. Il connaissait les goûts de Kersten et lui apporta un café très fort,
lourd de sucre et les gâteaux les plus copieux et les plus riches en crème
qu’il put trouver.
    Le docteur se laissait aller à une
gourmandise qui augmentait avec les années, lorsqu’il eut conscience d’une
sorte de remous dans le mess. Il s’arrêta un instant de manger et vit deux
hommes traverser la salle. Dans l’un, bref et carré, il reconnut Rauter ;
dans l’autre, élancé, élégant, Heydrich. C’était l’apparition de ce dernier qui
avait suscité le mouvement dans la salle. Les officiers se levaient, saluaient,
écartaient leur chaise avec empressement. Dans la hiérarchie de la terreur,
seul Himmler était au-dessus de Heydrich.
    Les deux hommes, cependant,
passaient indifférents à ces hommages. Tout à leur conversation, le chef de la
Gestapo de Hollande et le chef de la Gestapo dans tous les pays soumis à Hitler
avançaient vers le fond de la vaste pièce, du côté où Kersten dévorait ses
pâtisseries.
    « Viendraient-ils pour
moi ? » ne put s’empêcher de penser le docteur, qui continuait à
recevoir régulièrement des informations de Hollande au numéro postal de
Himmler. Mais, bien qu’ils se fussent assis à une table toute proche de la
sienne, ni Rauter ni Heydrich ne le remarquèrent, tellement ils étaient
absorbés dans leur entretien.
    Kersten effaça son visage et ses
épaules autant qu’il put le faire et se remit à ses gâteaux. Soudain, il eut
besoin de toute sa volonté pour ne pas se retourner d’un bloc. À la table
voisine, les voix s’étaient élevées, et celle de Rauter, dont Kersten ne se
souvenait que trop bien, disait avec exaltation :
    — Quel choc pour ces salauds de
Hollandais, quelle panique cela va être ! Enfin, ils vont avoir ce qu’ils
méritent. Cette semaine encore, dans une émeute, ils ont lapidé deux de mes
hommes. Têtes de cochon !
    — Il fait assez froid en
Pologne pour les geler, dit Heydrich avec un rire un peu métallique.
    Kersten se pencha davantage sur ses
gâteaux et son café, mais il avait l’impression que ses oreilles viraient à 90°
vers les voix qui parlaient dans son dos.
    — Je viens de recevoir les
directives générales pour la déportation, reprit Heydrich, vous aurez sous peu
les plans opératoires et alors il n’y aura pas un jour à perdre.
    — C’est pour quand ?
demanda Rauter avec avidité.
    — Pour…
    À ce moment, Heydrich baissa la voix
et Kersten ne put rien distinguer de plus. Mais ce qu’il avait entendu
suffisait : une nouvelle épreuve et, semblait-il, plus lourde, plus
sinistre encore que toutes celles qui avaient précédé menaçait la Hollande.
    « Reste calme, reste
calme », se dit Kersten. « Fais comme si tu n’avais rien appris,
comme s’ils n’étaient pas là. »
    Bien que chaque battement de son
sang l’incitât à se précipiter dehors pour quêter des renseignements, pour se
former une certitude, il acheva bouchée par bouchée son assiette de gâteaux,
vida à gorgées lentes son pot de café et quitta le mess nonchalamment, à pas mesurés,
comme à l’ordinaire.
    Seulement alors, il courut chez
Brandt, mais Brandt n’était pas là. Kersten voulut aller à sa recherche. Un
aide de camp l’avertit que le Reichsführer était enfin libre et attendait son
docteur.
     

2
    — J’ai bien besoin de vous, cher
monsieur Kersten, dit Himmler.
    Kersten demanda machinalement :
    — Vous avez mal ?
    — Non, mais je me sens surmené,
nous avons travaillé depuis ce matin à un projet très important, très urgent.
    Le Reichsführer ôta sa vareuse, sa
chemise, s’étendit sur le divan. Kersten s’assit

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