Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
Vom Netzwerk:
près de lui. Tout se déroulait
comme à l’accoutumée, et, pourtant, tout semblait irréel, impossible.
    Car ce projet qui avait provoqué la
fatigue dont Kersten allait soulager Himmler, ce projet (Heydrich ne sortait-il
pas de la conférence ? Rauter n’avait-il pas été convoqué pour cela à
Berlin ?) devait être celui-là, précisément, qui allait atteindre le
peuple de Hollande. Mais que pouvait l’aire Kersten et même que pouvait-il
dire ? Il avait surpris un secret d’État. Il n’avait pas le droit d’y
faire allusion.
    Les mains du docteur, d’elles-mêmes
et sans qu’il eût vraiment part à leur mouvement, suivaient un tracé connu,
pétrissaient, modelaient sous la peau les faisceaux nerveux. Himmler tantôt
poussait un petit cri, tantôt soupirait d’aise. Tout était dans l’ordre
quotidien.
    Il y eut cependant un défaut dans le
mécanisme. Dans les intervalles du traitement, Kersten, attentif et disert
d’habitude, écoutait mal, ne parlait pas.
    — Vous êtes aujourd’hui bien
rêveur, lui dit enfin Himmler avec amitié. La faute en est à votre courrier de
Hollande, je parie. Brandt m’assure que ces belles dames vous écrivent souvent.
Les dames, ah, les dames !
    Himmler donna une légère tape à
Kersten sur l’épaule, d’homme à homme, de mâle à mâle, de complice à complice.
    — Cela ne vous a pas empêché,
reprit-il, de me soigner à merveille. Je vais travailler comme un dieu. À
demain…
     

3
    Quand Kersten revint chez lui, il
avait un tel visage qu’Élisabeth Lube ne put s’y méprendre. Un grand malheur
était arrivé.
    À mesure que le docteur lui confiait
ce qu’il avait surpris, elle participait à son tourment, mais, depuis vingt
années, elle s’était donné pour tâche de l’aider, de l’encourager aux instants
difficiles. Elle représenta à Kersten qu’il se torturait peut-être sans raison.
Il n’avait entendu que des propos fragmentaires. Et encore, était-il sûr de les
avoir interprétés exactement ? Avant de se laisser aller au désespoir, il
fallait se renseigner davantage.
    Elle réussit à faire déjeuner
Kersten, mais, après le repas, il sentit qu’il ne pourrait pas supporter plus
longtemps de rester sans réponse à toutes les questions, et toutes atroces,
qu’il se posait sans répit.
    Il téléphona à Brandt et lui demanda
de le voir seul à seul. Brandt lui fixa rendez-vous pour le soir même, à six
heures, dans son bureau.
    Kersten, avec Brandt, n’essaya pas
de jouer au plus fin. Il alla droit au but. Il rapporta ce qu’il avait entendu
dire par Heydrich à Rauter, dans le mess de l’état-major.
    Tandis que Brandt l’écoutait, ses
traits fins, sensibles se creusaient peu à peu et son regard évitait celui de
Kersten. Il dit enfin à voix basse :
    — Alors, vous savez…
    — Est-ce vrai ? Vous êtes
au courant ? Que se passe-t-il ?
    Ces questions étaient comme des
cris.
    Brandt hésita, puis il fixa ses yeux
sur la figure du docteur, la seule qui, entre toutes les faces par lesquelles
il était entouré jour et nuit, ressemblait à l’image qu’il se faisait d’un être
humain. Brandt ne put résister à ce qu’il vit sur cette figure. Il alla fermer
la porte à clé et, toujours à demi-voix, dit à Kersten :
    — Si par hasard quelqu’un
vient, je répondrai que vous me soignez.
    Puis il se dirigea vers l’une des
tables chargées de documents classés dans un ordre méticuleux. D’une pile de
dossiers il tira une enveloppe qui portait en lettres capitales l’inscription
« ULTRA-SECRET » et la plaça au sommet de la pile. Ceci fait, il
s’approcha de Kersten à le toucher et chuchota :
    — N’oubliez pas que je ne vous
ai rien dit, que je n’ai rien vu, ne l’oubliez pas, au nom du ciel !
    Il tourna brusquement le dos et alla
jusqu’à la fenêtre, colla son front contre la vitre. En bas, dans la Prinz
Albert Strasse, au fond du crépuscule, une mince pluie de fin d’hiver faisait
hâter les passants.
    Mais Brandt voyait-il cela ?
    Kersten resta quelques instants
debout, la grande enveloppe entre ses mains, sans oser prendre les feuillets
qu’elle contenait. Enfin, il se laissa tomber dans un fauteuil et commença à
lire.
    Alors, il vit se développer, noir
sur blanc, détail après détail, paragraphe par paragraphe, de virgule en
virgule, la condamnation de tout un peuple.
    Le document qu’il avait sous les
yeux était formel et précis. Les Hollandais, disait-il,

Weitere Kostenlose Bücher