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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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entre toutes les
nations occupées, méritaient le châtiment le plus lourd ; ils étaient
coupables non seulement de résistance, mais de trahison. En effet, ses
habitants étaient de pure race germanique et ils auraient dû avoir une
reconnaissance infinie pour l’Allemagne qui les avait délivrés d’une reine et
d’une démocratie enjuivées. Au lieu de cela, ils s’étaient tournés contre leurs
sauveurs et se montraient favorables aux Anglais. Ils avaient forfait à la
gratitude et, crime capital, ils étaient félons envers leur race.
    Tout récemment encore, dans
Amsterdam, des émeutiers avaient infligé des pertes aux policiers de la
Gestapo. La mesure était comble, il fallait mettre les traîtres hors d’état de
nuire.
    Donc, Adolf Hitler, Führer de la
Grande Allemagne, avait prescrit à Heinrich Himmler, Reichsführer des S.S.,
d’assurer la déportation massive du peuple hollandais en Pologne, dans la
province de Lublin.
    Et Himmler prescrivait, à son tour,
de procéder ainsi qu’il suit :
    Trois millions d’hommes seraient
dirigés à pied vers les terres qui leur étaient dévolues. Leurs familles –
femmes, enfants et vieillards – seraient embarquées dans les ports
néerlandais pour la ville de Koenigsberg, et, de là, expédiées par chemin de
fer sur Lublin.
    L’exécution de ces mesures devait
commencer à la date du jour où Hitler était né, comme cadeau de fête pour son
anniversaire, le 20 avril.
    Kersten avait fini sa lecture, mais
continuait de garder les feuillets entre ses doigts et il ne pouvait les
empêcher de trembler légèrement.
    Des visions se levaient de ces pages
comme une fresque infernale.
    Arrachés aux douces rives de la mer
d’Occident, des millions d’hommes avançaient vers les terres glaciales de
l’Est. Ils avaient toute l’Europe à traverser sous la schlague et les crosses
des gardes-chiourme. Ils marchaient en colonnes interminables sur des routes
sans fin, affamés, les chaussures et les vêtements en lambeaux, trempés de
pluie, mordus par le vent. Parfois, au fond de ce cauchemar éveillé, des
visages se dessinaient pour Kersten dans les files de l’exode. C’étaient ses
amis les plus chers.
    Et il voyait les femmes, les
enfants, les vieillards, entassés à fond de cale, jusqu’à l’étouffement, ou
parqués dans les wagons de marchandises, torturés par la soif, asphyxiés par le
manque d’air et leurs propres déjections…
    Kersten laissa retomber les
feuillets sur la table, tira d’une poche son carnet de notes, en arracha une
page et sur ce petit morceau de papier résuma les données du document terrible.
Sa main si forte et si agile était mal assurée.
    On était au soir du 1 er  mars.
Dans quelques semaines Himmler allait offrir à Hitler son présent
d’anniversaire.
    Kersten replaça les feuillets dans
l’enveloppe, remit l’enveloppe dans la pile de dossiers à laquelle elle
appartenait. Brandt se retourna et rencontra le regard du docteur :
    — Vous trouvez que cette
décision est bonne ? demanda Kersten.
    — C’est épouvantable, dit
Brandt, tout un peuple transporté en captivité, en esclavage.
    Il se couvrit des mains la figure
comme s’il ne pouvait supporter la honte de participer à cette besogne
monstrueuse. Puis il murmura d’une voix imprégnée en même temps par le dégoût
de lui-même et la peur du supplice : – Rappelez-vous bien, cher
Kersten, ne dites jamais, jamais à personne que je vous ai laissé lire ce
dossier.
     

4
    La grosse voiture qui lui plaisait
tant par son confort, le chauffeur avec lequel il entretenait des rapports
affectueux depuis quinze ans, son appartement dont il retrouvait avec joie,
d’habitude, chaque pièce, meuble, livre ou tableau, et jusqu’à Élisabeth Lube
enfin, merveilleuse compagne des bons et des mauvais jours, son soutien, sa
confidente, – Kersten eut le sentiment, cette nuit-là, de ne reconnaître
et de n’aimer rien, ni personne.
    Il allait d’une chambre à l’autre,
absent, hébété. Il lui semblait porter une horloge dans sa tête ; et à
chaque battement du pendule, il entendait :
    Déportation, Hollande,
    Hollande, Déportation…
    Élisabeth Lube, dès qu’elle l’avait
vu rentrer, avait compris que le désastre dépassait les pires hypothèses. Elle
essaya de faire parler Kersten. Mais, de toute la soirée, il ne dit pas un mot.
    Lui qui aimait tant manger, il lui
fut impossible d’avaler une bouchée.
    Lui qui savait si

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