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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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allemandes au fond
de trous glacés. Pour la première fois depuis 1940, le triomphe ne venait pas
couronner la ruée éclair. Malgré des pertes très dures en territoires et en
hommes, les Russes tenaient bon et ils avaient pour eux le temps et l’espace.
    À l’ouest, l’Angleterre, plus tenace
que jamais, se préparait aux batailles futures. L’intervention de l’Amérique
approchait.
    Les deux branches de la tenaille
étaient encore très éloignées l’une de l’autre, mais leur dessin préfigurait le
sort du III e  Reich.
    Kersten qui, au fond de son cœur,
n’avait jamais pu croire – même quand tout semblait perdu – que les
nazis imposeraient au monde leur loi, vit les données de la raison justifier sa
révolte instinctive.
    Himmler revint à Berlin et le
docteur recommença de le soigner.
    Un matin, il trouva le Reichsführer
en proie à une mélancolie singulière. Himmler soupirait sans cesse et il y
avait une sorte de désespoir dans ses yeux.
    — Vous souffrez ? lui
demanda Kersten.
    — Il ne s’agit pas de moi,
répondit Himmler sans le regarder.
    — Que se passe-t-il
alors ? demanda encore le docteur.
    — Cher monsieur Kersten, dit
Himmler, je suis dans une terrible détresse. Je ne peux pas vous en apprendre
davantage.
    — Tout ce qui vous préoccupe me
préoccupe également, dit le docteur, car cela joue sur vos nerfs. Peut-être
pouvons-nous parler de votre souci et je serai en mesure de vous aider un peu.
    — Personne ne peut m’aider,
murmura Himmler.
    Il leva son regard vers le visage
rond, fleuri, rassurant, vers les yeux bons et sages, et poursuivit :
    — Mais je vais tout vous
raconter. Vous êtes mon seul ami. Vous êtes le seul homme à qui je puisse
parler sincèrement.
    Et Himmler parla.
    — Après la débâcle de la
France, dit-il, Hitler a fait plusieurs offres de paix à l’Angleterre. Mais les
Juifs qui dominent toute la vie de ce pays ont rejeté ces offres. C’est la plus
grande catastrophe qui peut arriver au monde que de forcer l’Angleterre et
l’Allemagne à se combattre. Et le Führer a compris que les Juifs iraient
jusqu’au bout dans la guerre et qu’il n’y aurait pas de paix sur la terre tant
qu’ils régneraient. C’est-à-dire tant qu’ils existeraient.
    Les ongles du Reichsführer
griffaient machinalement le bois de la table. Kersten pensa :
« Hitler voit que la fortune des armes commence à se tourner contre lui.
Mais sa folie ne peut pas l’admettre. Il a besoin d’une raison à ses revers
qui, par son caractère insensé, explique tout, excuse tout. Une fois de plus,
ce sont les Juifs. »
    Le docteur demanda :
    — Et alors ?
    — Alors, dit Himmler, le Führer
m’a ordonné de liquider tous les Juifs qui sont en notre pouvoir.
    Ses mains, qu’il avait longues,
minces et sèches, reposaient à présent inertes et comme gelées.
    — Liquider… que voulez-vous
dire par là ? s’écria Kersten.
    — Je veux dire, répliqua
Himmler, que cette race doit être exterminée entièrement, définitivement.
    — Mais vous ne pouvez
pas ! cria Kersten. Mais pensez donc à l’horreur que cela représente, aux
souffrances sans nom, sans nombre, et à l’opinion que le monde prendra de
l’Allemagne.
    D’habitude, quand il discutait avec
le docteur, Himmler montrait de la vivacité, et même de la passion. Cette fois,
son visage resta terne et sa voix neutre.
    — La tragédie de la grandeur,
dit-il, est d’avoir à fouler des cadavres.
    Himmler laissa fléchir son menton
sur sa poitrine creuse et demeura silencieux, comme accablé. Kersten dit
alors :
    — Vous voyez bien : au
fond de votre conscience, vous n’approuvez pas cette atrocité. Sinon pourquoi
tant de tristesse ?
    Himmler se redressa brusquement pour
considérer Kersten avec surprise.
    — Mais ce n’est pas cela du
tout, s’écria-t-il. C’est à cause du Führer.
    Il secoua la tête en tous sens,
poursuivi par un souvenir intolérable.
    — Oui, reprit-il, je me suis
conduit comme un imbécile. Quand Hitler m’a expliqué ce qu’il voulait de moi,
j’ai répondu sans réfléchir, par égoïsme : « Mon Führer, moi et mes
S.S., nous sommes prêts à mourir pour vous. Mais je vous prie de ne pas me
charger de cette mission. »
    La scène qui avait suivi ce propos,
Himmler la raconta, en respirant avec difficulté.
    Hitler avait été emporté par un de
ses accès de rage démente qui lui étaient habituels à la moindre

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