Les Mains du miracle
mois auparavant, la deuxième
offensive générale contre les armées soviétiques avait été lancée par la
Wehrmacht en partant des territoires conquis l’année précédente. Elle visait la
Volga et le Caucase. C’était le coup de boutoir suprême. Hitler y avait employé
toutes ses forces et comptait bien, cette fois, mettre la Russie à genoux.
Les premières batailles lui avaient
valu la prise de nouvelles provinces. Himmler, comme d’habitude, allait les
« organiser ».
Le Grand Quartier de Hitler se
trouvait à Vinnitza, en Ukraine. Celui de Himmler l’attendait, à soixante
kilomètres de là, dans la ville de Jitomir.
Le 5 juillet, le Reichsführer
débarqua de son train spécial pour gagner le groupe de bâtiments où il devait
vivre et travailler avec son état-major.
C’était une
vieille caserne russe, entourée de hauts murs et de barbelés. Himmler y occupa
une petite maison qui, avant l’invasion, abritait un officier supérieur
soviétique. Kersten fut logé non loin de lui, dans une maison semblable.
La vie qu’eut à mener alors le
docteur fut, pratiquement, celle d’un interné. Il ne pouvait se promener que
dans les limites du camp sinistre. Autour de ses murailles et de ses barbelés,
tout se trouvait surveillé, verrouillé, barricadé, miné. Quand le docteur
voulait aller en ville, il lui fallait obtenir une permission et un
laissez-passer en règle. Deux soldats en armes l’accompagnaient dans la voiture
mise à sa disposition et lui interdisaient d’en descendre.
— Nous sommes ici en pays
ennemi, je ne veux pas que vous preniez des risques, lui avait dit Himmler.
Lui-même, craignant sans cesse un
attentat ou un raid de partisans russes, ne se déplaçait qu’au milieu d’une
escorte nombreuse et redoutable.
Dans un cadre et un climat aussi
étrangers à Hartzwalde, le souvenir des Témoins de Jéhovah ne pouvait même pas
effleurer l’esprit de Himmler. Le docteur aborda enfin la question si longtemps
différée.
— Est-il vrai, demanda-t-il un
soir, que, dans vos camps de concentration, les hommes et les femmes sont
systématiquement torturés à mort ? Jusque-là, je ne voulais pas vous en
parler. Mais à Berlin, avant notre départ, j’ai eu de telles révélations que je
suis forcé de vous le demander.
Himmler rit de grand cœur. Du moins
il en eut l’air.
— Allons, mon cher monsieur
Kersten, s’écria-t-il, voilà que maintenant vous donnez dans les panneaux de la
propagande alliée. Mais, voyons, cela fait partie de leur guerre, les faux
bruits.
— Il ne s’agit pas de
propagande alliée ou autre, dit posément le docteur. Mais de faits que
j’aimerais discuter avec vous, parce que je les tiens d’une source très
sérieuse.
— Quelle source ? demanda
vivement Himmler.
Alors Kersten lui conta l’histoire
plausible qu’il avait minutieusement préparée, afin de détourner tout soupçon
des Témoins de Jéhovah.
— J’ai rencontré, dit-il, à
l’ambassade finnoise, à Berlin, deux journalistes suisses en route vers la Suède…
— Hé bien ? demanda
Himmler.
Ici, Kersten
tenta sa chance. Il avait entendu, au mess du Reichsführer, que, dans les camps
de concentration, les gardes S.S. avaient reçu l’ordre de photographier et
filmer toutes les tortures auxquelles se livraient les bourreaux. Il n’avait pu
croire à une mesure aussi folle qu’abominable. Mais, dans cet entretien, il
joua la certitude.
— Ces journalistes, dit-il,
avaient acheté dans les environs des camps, à des gardes S.S., des
photographies de tortures.
Au mouvement qui dressa Himmler sur
son lit de camp, Kersten comprit que les bruits auxquels il avait refusé de
prêter foi exprimaient la vérité.
— Ils sont encore en Allemagne,
ces journalistes ? demanda rudement Himmler.
— Oh non, ils sont en Suède
maintenant et peut-être déjà en Suisse, dit Kersten.
— Savez-vous comment je
pourrais racheter ces photographies, à n’importe quel prix ? s’écria
Himmler.
— Vraiment pas, dit Kersten.
Il secoua la tête en signe de
reproche et poursuivit :
— Est-ce qu’il ne vaudrait pas
mieux me parler franchement ? Vous ne croyez pas que je mérite un peu de
vérité ?
Himmler détourna le regard. Un
profond embarras se peignit sur ses traits.
— Vous avez vu les
photographies vous-même ? demanda-t-il.
— Bien sûr, dit Kersten, sans
hésiter un instant.
Seulement alors, Himmler se décida.
— Bon, dit-il.
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