Les Mains du miracle
quelqu’un.
C’était vrai. Et personne autant que
Kersten ne pouvait connaître combien chez son patient les nerfs étaient faibles
et lâches. Le chef suprême des bourreaux, le maître des supplices, ne
supportait pas la vue des souffrances, ni d’une goutte de sang.
— Donc, reprit Kersten, si le
plus grand esprit sur notre terre vous ordonnait de faire tuer votre femme et
votre fille ?
— Je le ferais sans réfléchir
une seconde, répondit Himmler avec emportement. Car le Führer saurait, lui,
pourquoi il a donné cet ordre.
Kersten se leva lourdement de son
siège. Le traitement était fini.
— Il n’empêche, dit le docteur,
que vous entrerez dans l’histoire comme le plus grand meurtrier de tous les
temps.
Himmler se leva à son tour et, à la
stupéfaction du docteur, rit aux éclats.
— Non, cher monsieur Kersten,
non ! Je ne serai pas responsable devant l’histoire.
Le Reichsführer tira son
portefeuille d’une poche de son pantalon, y prit un papier et le tendit à
Kersten.
— Lisez, s’écria-t-il gaiement.
La feuille portait en haut le nom de
Hitler gravé en lettres d’or et en bas sa signature. Elle certifiait que, pour
tous les ordres reçus par Himmler en ce qui concernait les tortures et
l’extermination des Juifs et autres prisonniers des camps, Hitler les prenait
entièrement à son compte et en déchargeait complètement le Reichsführer.
— Hé bien, vous avez lu !
dit Himmler d’une voix triomphante.
Mais il vit que le docteur n’était
pas convaincu et voulait prolonger la discussion. Alors, il arrêta ce dialogue
en remettant sur ses épaules chemise et vareuse, et déclara :
— Assez parlé de bêtises comme
cela. Personne n’aura à me demander le moindre compte. L’Allemagne va gagner la
guerre avant l’automne.
En effet, dans les mois de l’été
1942, les blindés à croix gammée poussaient des pointes jusqu’à la Volga et
l’armée victorieuse de von Paulus approchait de Stalingrad.
CHAPITRE IX
Le mal du Führer
1
Mais l’été de 1942 passa et l’automne
vint, sans apporter à Hitler la victoire qui lui était indispensable. Les
assauts répétés, furieux, désespérés des meilleures troupes du III e Reich
se brisèrent, vague après vague, contre les décombres de Stalingrad. La marée
allemande avait atteint son ultime limite.
Après un voyage en Finlande [7] ,
Himmler, accompagné de Kersten, avait regagné Berlin. C’était l’hiver, le
deuxième hiver de la guerre contre la Russie et, malgré les ordres frénétiques,
hystériques de Hitler, Stalingrad tenait toujours. Dans les steppes enneigées,
arrosées de sang allemand, et saisies maintenant par le gel impitoyable,
l’armée du général von Paulus attendait sa perte.
Et depuis le mois de novembre, les
Alliés s’étaient installés en Afrique du Nord.
Le 12 décembre 1942, à la
Chancellerie de la Prinz Albert Strasse, Kersten trouva Himmler dans un état de
nervosité extrême. Il ne pouvait pas suivre une conversation. Il ne pouvait pas
tenir en place. Visiblement, un souci essentiel le rongeait. Kersten lui en
demanda le motif.
Himmler lui répondit par cette
question :
— Pouvez-vous traiter avec
succès un homme qui souffre de maux de tête graves, de vertiges et
d’insomnie ?
— Assurément, dit Kersten. Mais
avant de vous donner une réponse qui m’engage, il faut que j’examine cet homme.
Tout dépend de la cause qui provoque ces états.
Himmler prit une aspiration
profonde, comme si l’air lui manquait tout à coup ; ses pommettes, parce
qu’il serra ensuite les mâchoires de toutes ses forces, devinrent plus aiguës,
plus asiatiques. Il parla d’une voix étouffée :
— Je vous nommerai ce malade.
Mais vous devez me donner votre parole, me jurer sur l’honneur de ne jamais le
répéter à personne et recevoir ce que je vais vous confier comme un secret
absolu.
— Reichsführer, répondit
Kersten, ce n’est pas la première fois que j’aurai à garder un secret d’ordre
médical. Ma vie professionnelle tout entière a été soumise à cette règle.
— Excusez-moi, cher monsieur
Kersten, mais si vous saviez ! dit Himmler.
Il alla prendre dans son coffre-fort
un portefeuille noir et en tira un manuscrit.
— Tenez, dit-il, en tendant le
document à Kersten par un geste qui lui coûtait un effort visible. Lisez cela.
Vous avez ici un rapport secret sur la maladie du Führer.
Par la suite, Kersten se
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