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Les Mains du miracle

Les Mains du miracle

Titel: Les Mains du miracle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joseph Kessel
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Je dois
reconnaître qu’il se passe dans les camps des choses que vous, avec votre
mentalité de Finlandais et les habitudes intellectuelles que vous avez prises
dans votre démocratie de Hollande, vous ne pouvez pas comprendre. Vous n’avez
pas été à l’école nazie.
    Sans s’en apercevoir, le
Reichsführer avait pris l’inflexion d’un pédant monté en chaire. Il
continua :
    — Je ne m’étonne donc pas que
vous trouviez mauvaises certaines méthodes. Mais il est juste que l’on oblige à
souffrir les traîtres, les ennemis du Führer, aussi longtemps et aussi
cruellement que possible. C’est à la fois un châtiment légitime pour eux et un
exemple pour les autres. L’avenir nous donnera raison.
    Sa voix s’éleva d’un ton, plus dogmatique
encore.
    — Savez-vous, dit-il, pourquoi
les gardes S.S. ont l’ordre de photographier les tortures, toutes les sortes de
tortures infligées dans les camps ? C’est afin que, dans mille années
d’ici, on sache comment les vrais Allemands, pour leur plus grande gloire, ont
combattu les adversaires du Führer germanique et la race maudite des Juifs. Et
les générations futures vont admirer les images du siècle d’Adolf Hitler et lui
en seront reconnaissantes – pour l’éternité.
    Kersten avait envie de se boucher
les oreilles. Il sentait dans sa bouche un goût de nausée. Jamais encore
l’impression de vivre chez les déments n’avait été aussi forte. Le fou
sanglant… le demi-fou fanatique – ce couple l’hallucinait.
    — Alors, demanda-t-il en se
forçant au calme, mais sachant très bien qu’il allait toucher Himmler au point
le plus sensible, alors c’est ainsi que se manifeste le fameux honneur de vos
S.S. ! Servir de bourreaux ?
    — Ce n’est pas vrai, vous ne
devez pas dire cela ! cria Himmler. Mes S.S. sont des soldats. Ceux qu’on
trouve dans les camps c’est le rebut de notre armée. Tout est réglé à la
perfection.
    Habitué qu’il était à parler sans
retenue devant Kersten quand le docteur le soignait, et la vanité
professionnelle aidant, Himmler reprit son intonation de cuistre souverain.
    — Voici comment les choses sont
calculées, dit-il. Un soldat S.S. ou un sous-officier commet une infraction au
règlement, – désobéissance à un supérieur, retard pour rentrer de
permission, absence illégale ou autre délit de ce genre. Bien. Il passe devant
un conseil de discipline. Là on lui propose l’alternative : être puni et
voir cette punition inscrite sur son carnet militaire, ce qui lui enlève toute
chance d’avancement, ou aller dans un camp de concentration à titre de gardien,
avec tous privilèges et libertés à l’égard des prisonniers. Il choisit la
dernière proposition. Bien. Peu après son arrivée dans le camp son chef lui
demande – remarquez bien, n’ordonne pas, mais demande seulement – de
torturer, puis d’exécuter un détenu. En général, le nouvel arrivant se révolte.
Alors le chef lui donne le choix : être renvoyé à son corps, subir une
peine disciplinaire aggravée ou accomplir la besogne. En général, le soldat
préfère rester. La première fois qu’il fait souffrir et tue un homme, c’est à
contrecœur. La deuxième expérience est plus facile. Finalement, il y prend goût
et commence à se vanter de son ouvrage. Alors, comme il est encore trop tôt
pour que ces choses deviennent publiques, il est liquidé à son tour et remplacé
par un autre.
    Les deux hommes gardèrent un assez
long silence. Himmler pour goûter à loisir la juste fierté que lui inspirait
une méthode aussi ingénieuse et Kersten pour reprendre son sang-froid.
    — C’est vous, demanda-t-il
enfin, qui avez mis au point le système ?
    — Oh non ! s’écria Himmler
dans un élan qui exaltait sa foi la plus profonde, oh non ! C’est le
Führer en personne. Son génie va jusqu’aux plus petits détails.
    — Et pour les tortures, demanda
alors Kersten, est-ce lui également qui les a prescrites ?
    Un mouvement d’indignation redressa
de nouveau le torse étriqué du Reichsführer sur son lit de camp.
    — Comment pouvez-vous penser
qu’il puisse se faire quoi que ce soit sans l’ordre de Hitler ?
s’écria-t-il. Et quand le plus grand esprit qui ait jamais vécu sur notre terre
ordonne de pareilles mesures, qui suis-je pour le critiquer ?
    Il regarda Kersten dans les yeux et
dit à mi-voix :
    — Vous savez bien que, de mes
mains, je suis incapable de faire mal à

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