Les Mains du miracle
atteint d’une
terrible maladie mentale. Qui pouvait dire si ces mesures étaient prises dans
un intervalle de lucidité, ou, au contraire, sous l’effet de la folie ?
Le Reichsführer se taisait. Kersten,
s’étonnant de sa propre audace, devint plus explicite encore.
Seul, un homme en pleine possession
de ses facultés mentales avait le droit d’occuper un poste souverain. Du moment
que cette condition n’était pas remplie, Himmler n’avait plus le droit de
reconnaître Hitler comme son Führer.
Enfin Himmler parla. Mais ce ne fut
point pour menacer Kersten du châtiment réservé au sacrilège, ni même pour lui
imposer silence.
— J’ai considéré tout cela, dit
le Reichsführer à mi-voix et en hochant la tête. Logiquement, vous auriez
raison. Mais ici la logique perd ses droits. Il est impossible de changer de
chevaux au milieu d’une côte abrupte.
Jamais Kersten, malgré la
connaissance qu’il avait de Himmler, n’eut pensé que celui-ci fût allé si loin
dans ses réflexions et son angoisse. Qu’il eût envisagé, même un instant, de
renier son idole. Cet aveu fit sentir au docteur qu’il lui était permis ce
jour-là d’abandonner toute espèce de réserve. Himmler en était arrivé au point
où il lui fallait, de nécessité absolue, transformer en un débat à haute voix
le dialogue intérieur qui le déchirait.
— Tout est entre vos mains,
Reichsführer, s’écria Kersten. Vous avez toujours vos S.S. et si vous réunissez
les généraux les plus importants et si vous leur exposez les faits, pour
démontrer que le Führer est un malade qui doit abdiquer dans l’intérêt suprême
de la nation, ils verront en vous un homme d’État de la plus grande envergure.
Et ils vous suivront. Mais c’est à vous d’agir le premier.
Himmler hocha la tête de nouveau, de
manière à suggérer que cette solution lui était également apparue. Puis il
répondit :
— C’est précisément ce qui est
impossible. Je ne peux pas faire un geste contre le Führer, moi qui commande
aux S.S. dont la devise est : « Mon honneur est ma fidélité. »
Tout le monde croirait que j’agis pour des raisons personnelles et pour
m’assurer du pouvoir. Oh ! bien sûr, je pourrais justifier mes actes par
des certificats médicaux ! Mais chacun sait combien il est facile de se
les procurer. Les apparences sont contre moi. La maladie du Führer ne serait
indiscutée que s’il était examiné par des spécialistes, ouvertement,
publiquement. Mais un tel examen ne serait possible que si déjà nous avions agi.
C’est un cercle vicieux.
Soudain Himmler redressa ses épaules
et sa nuque affaissées. Il était allé aux dernières limites de la sincérité
vis-à-vis de lui-même. Il ne pouvait plus la supporter.
— Et puis, dit-il d’une voix
sourde, pleine d’entêtement à espérer, songez à ce qui arriverait si le
diagnostic des spécialistes montrait que le rapport que nous avons lu est
erroné. J’aurais renversé le chef le plus génial, capable encore des idées les
plus grandioses sur un simple soupçon de docteurs.
— Ce n’est pas un simple
soupçon, dit Kersten.
— Possible, cria Himmler. Mais
on a vu la nature faire des miracles contraires à toute la science médicale. Et
le Führer est un surhomme.
— Bien, dit Kersten. Vous
laisserez donc les choses suivre leur cours et Hitler aller de mal en
pis ? Et vous abandonnez tout le destin du peuple allemand à un
paralytique général ?
Avant de répondre, Himmler réfléchit
assez longtemps, les traits crispés. Il dit enfin :
— Les risques ne sont pas
encore tels que je sois forcé d’agir. Et j’en aurai toujours le temps quand les
faits montreront que le rapport ne prête pas au doute.
Sur ces mots l’entretien s’acheva.
4
Quatre jours plus tard –
était-ce pour encourager Kersten à oublier un secret d’État capital ou au
contraire en gage d’une solidarité nouvelle ? – Himmler donna une
réponse particulièrement généreuse aux démarches que le docteur reprenait sans
se lasser depuis six mois, en faveur d’un petit groupe de Suédois que lui
avaient signalé Kivimoki, ambassadeur de Finlande, et Richart, ambassadeur de
Suède. C’étaient des ingénieurs, des industriels qui avaient été arrêtés en
Pologne par les services allemands et convaincus d’espionnage.
Deux comparses furent immédiatement
élargis. Pour les autres, qui avaient été condamnés à mort, selon les lois
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