Les Mains du miracle
réduits au néant, comme
l’étaient les papiers entre les dents métalliques. Il s’écria :
— Quel malheur que l’attentat
n’ait pas réussi ! La route serait libre pour vous.
Himmler se retourna, comme brûlé à
vif. Il y avait une expression d’égarement sur son visage. Les pommettes
mongoloïdes tressautaient.
— Est-ce que vous croyez
vraiment que le succès de l’attentat aurait été bon pour moi ?
demanda-t-il dans un souffle.
Puis, voyant que le docteur
s’apprêtait à répondre, il cria d’une voix suraiguë, hystérique :
— Non, non, taisez-vous !
Je n’ai pas le droit d’y penser. Je vous défends d’y penser ! Il est
épouvantable d’avoir des pensées pareilles ! Je suis plus fidèle que
jamais à mon Führer et je vais exterminer tous ses ennemis.
— Alors, dit Kersten, il vous
faut tuer 90 % de votre peuple. Vous me l’avez assuré vous-même :
depuis les revers militaires, il n’y a pas 20 % de la nation allemande qui
soit pour Hitler.
Himmler resta silencieux. Puis, comme
pour se venger de son propre désespoir, il dit avec une violence glacée :
— Je pars tout de suite dans
mon avion pour Berlin. À l’aérodrome de Tempelhof m’attendent déjà
Kaltenbrunner et toute son équipe. (Il serra les dents, ce qui fit saillir ses
pommettes.) Nous allons nous mettre au travail sans délai.
Himmler devina sans doute le dégoût
et l’horreur que soulevaient ses paroles chez Kersten. Il ajouta
sèchement :
— Quant à vous, prenez le
train, je vous prie, aujourd’hui même et attendez mes instructions à
Hartzwalde.
3
Kersten passa dix jours dans son
domaine sur lequel l’été, depuis l’aube jusqu’au crépuscule, étalait sa
magnificence. Une paix merveilleuse régnait, le long des ruisselets, au cœur
des bois, dans les chambres fraîches. Les trois garçons jouaient au soleil. Les
herbes, les branches craquaient de chaleur ou bruissaient sous les brises
nocturnes.
Pendant ce temps, Himmler,
Kaltenbrunner et leur meute sillonnaient toute l’Allemagne dans une chasse à
l’homme sans merci. Des conspirateurs avaient osé attenter à la vie du Führer.
Innocents et coupables payaient par centaines ce crime de lèse-majesté, ce
sacrilège. Les tortionnaires faisaient éclater les os et les membres. Les
bourreaux suppliciaient par la potence et la hache. On vit des officiers en
uniforme pendus dans les boucheries, la gorge prise aux crocs faits pour les
quartiers de viande.
Kersten, par toute la puissance de
concentration intérieure que lui avait enseignée le docteur Kô, refusait de
laisser son esprit ouvert à ces images. Il devait profiter du repos, du répit
qui lui étaient accordés. Bientôt, il aurait besoin de toutes ses forces pour
reprendre Himmler en main, pour le persuader à nouveau de libérer les
prisonniers des camps de mort, Himmler, rendu à sa fidélité fanatique par
l’attentat contre Hitler, éperonné par la peur et la rage démentes de son
maître qui voulait voir fumer partout le sang des sacrifices.
Himmler qui chassait l’homme, avec,
pour compagnon, pour allié, pour double dans la torture et l’assassinat, l’ennemi
majeur, déchaîné : Kaltenbrunner.
4
Le 1 er août, de très
bonne heure, Kersten fut appelé de Hochwald au téléphone. Himmler avait regagné
son Q.G. Il souffrait beaucoup à la suite du travail intense qu’il venait de
fournir. Le docteur était prié de prendre, dans l’après-midi même, en gare de
Berlin, le train particulier du Reichsführer pour la Prusse-Orientale.
Kersten déjeuna avec sa famille
tranquillement, à loisir. Il avait commandé sa voiture pour trois heures.
C’était plus que suffisant. Le train partait assez tard dans l’après-midi.
Quant à la route, il l’avait faite tant de fois que son vieux chauffeur en
connaissait toutes les lignes, toutes les courbes et chaque rue dans
Oranienbourg, la seule ville de quelque importance à traverser.
Ayant bien mangé, ayant bu son café
riche en sucre, Kersten embrassa les siens et se dirigea vers son automobile.
Le chauffeur lui avait déjà ouvert
la portière, quand apparut une motocyclette militaire lancée à la limite de sa
vitesse.
Le soldat S.S. couvert de poussière
et de sueur freina juste devant Kersten, sauta de selle et lui tendit un pli en
disant :
— De la part du colonel
Schellenberg. Très urgent, Herr Doktor.
Kersten prit le message, et, ainsi
qu’il faisait toujours en
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