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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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consciente qu’outre le sort de chacun au camp il lui fallait encore supporter les expériences des médecins S.S. Il n’est pas nécessaire d’être psychologue pour comprendre qu’en plus du tourment normal des détenues du camp d’extermination, il y avait quelque chose de particulièrement accablant dans l’ambiance de ce block. Les activités « scientifiques » des médecins S.S. et la peur de ce que le corps devrait endurer avant que ses cendres aillent fertiliser le sol d’Auschwitz, constituaient le thème perpétuel de tout ce dont on pouvait parler dans ce block.
    — Je me souviens surtout des jeunes Grecques qui servaient aux expériences de Schumann. Comme des hôtes effrayées, elles se tournaient et se retournaient sur leurs couches avec une expression de crainte et de méfiance dans leurs beaux yeux qui n’avaient pas encore eu le temps de se rassasier de la beauté de la vie normale en Grèce où elles étaient nées et où elles avaient grandi. Le fait d’être dans ce block un cobaye supplémentaire ne manquait pas d’agir très négativement sur l’état psychique. Là comme ailleurs dans le camp, certaines détenues aggravaient encore les conditions par leur comportement ; elles se querellaient, se battaient, volaient. Le système bien connu des S.S. consistant à laisser les détenus se tourmenter mutuellement, agissait aussi dans ce block. L’arrivée du groupe d’internées politiques de France dans lequel je me trouvais, inaugura un nouveau chapitre dans l’histoire du block 10. Grâce à nos contacts avec les hommes, avec les membres de la Résistance, nous réussîmes à faire changer le personnel du block et à exercer une influence favorable sur les autres. Nous fûmes comprises et aidées par le « Lagerältester » d’alors, Ludwik Wörl, un communiste allemand, qui, emprisonné après l’arrivée de Hitler au pouvoir, connut tous les camps de concentration allemands. Un autre qui nous vint en aide, ce fut Herman Langbein, secrétaire du médecin-chef S.S. du camp, le docteur Wirths, ancien combattant autrichien des Brigades Internationales en Espagne. Toujours est-il que tout ce qu’il était possible de transformer le fut vers la fin de 1943. Sous la direction de Hadasy Lerner, de Lwow, nous organisions de véritables concerts de chant, de récitation, de danse. Le soir, quand nous demeurions seules après la fermeture du block, les mélodies populaires de nombreux pays d’Europe faisaient écho aux gémissements et aux pleurs, aux détonations. Peu à peu, le sourire, la bienveillance, le désir de s’entraider revenaient. Les cœurs durcis face au cataclysme inhumain commençaient à découvrir à nouveau que l’amitié est un sentiment naturel que l’être humain ne doit pas nécessairement être un loup pour son prochain, qu’il se sent mieux quand son prochain est un frère.
    — Sur le nombre des femmes qui se trouvaient au block 10 durant les années 1943-1945, il n’en reste plus, à ma connaissance, que quelques dizaines qui vivent dans divers pays d’Europe et d’autres continents…
    — Certaines femmes médecins sont aussi encore en vie parmi celles que les S.S. avaient déléguées pour s’occuper des malades au block 10, comme la Française Adélaïde Hautval et Halina Brewda de Varsovie, actuellement fixée en Angleterre, ou bien qui avaient été envoyées à ce block soit en groupe soit individuellement pour être ensuite, au bout d’un certain temps, affectées au laboratoire de l’« Hygiène-Institut » de Rajsko ; logées au block 10, elles avaient la possibilité de connaître exactement le mécanisme des pseudo expériences. En Pologne, outre moi-même, se trouve encore la doctoresse Helena Meizel.
    — L’attitude des médecins-détenus était très importante pour l’atmosphère dans laquelle vivaient les détenues. Je tenterai d’abord de présenter brièvement leurs possibilités. En raison des expériences pseudo-scientifiques pratiquées au block 10, les médecins internés étaient tenus, outre les soins qu’ils prodiguaient aux malades, d’aider les S.S. ou même de les seconder dans leurs expériences. Ils avaient la faculté de refuser, ils pouvaient – sans se prononcer catégoriquement – ne pas appliquer les prescriptions des médecins S.S., ils pouvaient se borner à obéir, et ils pouvaient aussi faire montre d’un zèle que je qualifierai d’exceptionnel. Toutes ces formes de comportement

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