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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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Dering et d’autres parmi ses semblables, ne saurait être justifié de quelque manière que ce soit : aucune considération, pas même la peur de mourir, n’aurait dû abaisser un médecin à exécuter avec zèle les ordres des S.S.

21

LA JEUNE FEMME AU REVOLVER
    Un train différent. Compartiments. 1 730 voyageurs enthousiastes qui chantent, rient, pleurent de joie. Ils ont quitté Bergen-Belsen la veille. Et ce 23 octobre 1943, ils vont franchir la frontière suisse. La plupart sont de vieux concentrationnaires qui se sont adaptés à la survie étrange de Belsen. Très vite, ils ont compris que cet échiquier, tracé sur la lande de Lunebourg, dont chaque case est séparée des autres par des barbelés, n’a rien de comparable aux autres camps de concentration. Les parcs ainsi constitués abritent un groupe ethnique ou sociologique choisi et le Reich peut jouer, dans ses négociations, avec ces pions de réserve. Bergen-Belsen est le camp des « Ils pourront bien servir à quelque chose ».
    — Nous avons négocié avec les Pays-Bas : des diamantaires d’Amsterdam sont libérés.
    — Nous avons négocié avec le gouvernement britannique qui libère des prisonniers allemands : des Juifs privilégiés s’embarquent pour la Palestine.
    Le convoi du 23 octobre est constitué d’une majorité de Juifs polonais détenteurs de passeports américains.
    — Nous avons négocié avec le gouvernement des États-Unis. Nous vous acheminons à la frontière suisse, de là…
    Le train s’arrête. Des ordres. Premières questions :
    — Mais ce n’est pas la Suisse ?
    — Où sommes-nous ?
    Le « doyen » du groupe se présente à un officier. Réponse embarrassée :
    — Vous repartirez demain. Vous êtes dans un camp de transit. Vous allez vous reposer.
    Sur le quai une voix hurle :
    — Auschwitz. Nous sommes à Auschwitz ! On nous a menti. Auschwitz c’est la chambre à gaz.
    Les déportés courent dans tous les sens. Certains remontent dans les compartiments.
    — Battons-nous ! Défendons-nous ! Mourons en combattant !
    Une jeune femme, profitant de la bousculade arrache le revolver qu’un S.S. vient de dégainer. Elle retourne l’arme. Le premier coup de feu claque sur la rampe juive. Un uniforme se précipite. La jeune femme vide le chargeur… le S.S. Unterscharführer Emmerich s’écroule sur le S.S. Oberscharführer Schillinger.
    Rafales de mitraillette. Grenades. Renforts. Massacre. Les survivants du convoi de Bergen-Belsen sont poussés dans la chambre à gaz du crématoire III. Le S.S. Schillinger meurt pendant son transfert à l’hôpital. Le S.S. Emmerich restera paralysé.
    La chronique orale du camp qui veut que la « jeune femme au revolver » soit une danseuse classique américaine, n’a pas retenu son nom.

22

LA JEUNE FILLE DE TRANSYLVANIE
    Le chef du kommando des gaz du crématoire n° 1 se précipite dans la chambre du docteur Miklos Nyiszli, médecin-chef du Sonderkommando.
    — Une jeune fille a survécu aux gaz !
    Nyiszli saisit sa trousse et court vers la chambre à gaz.
    — Près (104) de l’entrée de l’immense salle, et contre le mur, à moitié recouvert d’autres cadavres, j’aperçois une jeune femme qui râle et dont le corps est secoué de convulsions. Les hommes du kommando des gaz qui m’entourent sont agités. Pareil événement ne s’est jamais produit durant leur horrible travail. Nous débarrassons cette jeune femme, encore vivante, des cadavres qui s’entassent pêle-mêle sur son corps. Je prends dans mes bras ce corps menu d’adolescente et je le porte dans la pièce contiguë à la chambre à gaz. C’est celle où le kommando des gaz se change pour le travail. J’étends le corps sur un banc. C’est une jeune fille frêle, presque une enfant, qui ne peut avoir plus de quinze ans. Je sors ma seringue et, dans le bras de l’enfant qui respire difficilement et n’a pas encore repris connaissance, je fais successivement trois piqûres. Mes compagnons enveloppent d’un chaud manteau de lainage son corps froid comme glace. L’un court à la cuisine y chercher du thé ou du bouillon chaud. Chacun voudrait aider, comme s’il s’agissait de son propre enfant. Le résultat ne se fait pas attendre. L’enfant est saisie d’un accès de toux qui ramène de ses poumons une expectoration épaisse. Elle ouvre les yeux et regarde d’un œil fixe le plafond. Je surveille attentivement tout signe de vie. Sa respiration devient

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