Les mannequins nus
l’intention d’effectuer avec un nouveau narcotique.
« — Le prix de 200 marks pour une femme nous paraît néanmoins exagéré. Nous n’offrons pas plus de 170 marks par tête. Si vous êtes d’accord, nous viendrons les chercher. Nous avons besoin de 150 femmes environ.
« — Nous enregistrons votre accord ; veuillez bien préparer 150 femmes et si possible celles qui sont en meilleure santé. Nous les prendrons lorsque vous nous avertirez qu’elles sont prêtes.
« — Nous avons reçu l’envoi de 150 femmes. Bien qu’elles soient en état de dépérissement, nous considérons qu’elles conviennent. Nous vous informerons du cours des expériences.
« — Les expériences sont faites, toutes les personnes sont mortes. Nous nous adresserons à vous pour un nouvel envoi. »
Ces extraits de la correspondance adressée par les laboratoires chimiques et pharmaceutiques Bayer au commandant d’Auschwitz (lus au procès de Nuremberg) sont l’illustration parfaite de ce mépris de la personne humaine qui caractérisait non seulement la hiérarchie S.S. mais certains industriels allemands. Je pense qu’il est inutile de revenir dans ce dossier sur l’ensemble des expériences médicales ou pseudo-médicales réalisées à Auschwitz (101) cependant, chaque nouveau témoignage sur le block 10 a une très grande importance, en particulier celui du docteur Dorota Lorska qui souligne des aspects encore inconnus de ce centre d’expériences.
— En juin 1943 (102) , je fus arrêtée à Paris pour participation à la Résistance. Après une enquête, je fus remise par la police française collaboratrice à la Gestapo et je quittai la France pour Auschwitz où j’arrivai le 2 août 1943. Ce jour-là, ou plutôt cette nuit-là, le docteur Eduard Wirths « sélectionnait » pour le camp. C’était la première fois que je voyais un médecin S.S. Il ordonna aux femmes mariées de se mettre de côté et en choisit une centaine. Je fus retenue et me retrouvai au block 10. À l’époque, il y avait là 400 femmes environ, des Juives de dix pays d’Europe. Toutes servaient de cobayes aux médecins S.S.
— Maintenant encore, les impressions des premières journées – une sorte de cauchemar tenant de l’enfer et d’une maison de fous – ne m’ont pas encore complètement quittée. Elles continuent à s’imposer quand je repense à ce temps-là, elles reviennent dans mes rêves et me rappellent l’horreur au milieu de laquelle je vivais alors.
— Au bout de quelques semaines, je compris parfaitement en quoi consistaient les activités « scientifiques » des médecins S.S., quel rôle y avaient leurs collaborateurs parmi les S.S. et parmi les détenus. Durant mes premières journées au block 10, je parvins assez heureusement à entrer en contact avec le groupe de résistance du kommando de désinfection qui, à ce titre, avait accès au block des femmes. Sur recommandation de l’organisation de la Résistance, je décrivis à l’époque, en détail et d’une manière concise, les expériences pratiquées sur les détenues du block, en prenant soin d’indiquer les noms des S.S. et des autres personnes qui y prenaient part.
— Ce rapport, la première description de ce qui se passait à l’unique block de femmes du camp d’Auschwitz I, fut sorti du camp vers la fin de l’année 1943 par les soins de Tadeuz Holuj et de Stanislaw Klodzinski. Avec satisfaction, nous apprîmes au mois d’avril 1964 qu’un résumé exact de ce rapport était parvenu à Londres (103) . Voici ce que j’écrivais alors, en 1943.
— Les médecins S.S., le professeur Carl Clauberg, les docteurs Horst Schumann, Eduard Wirths, Bruno Weber, se livrent à des expériences sur les détenues du block 10. Environ trois cents femmes, réparties dans deux grandes salles, se trouvent dans ce block. Le « matériel utilisé » est renvoyé de temps à autre au camp de femmes de Birkenau et est remplacé par du « matériel nouveau » provenant des convois fraîchement arrivés. Chacun des médecins S.S. cités choisit des femmes pour ses expériences. Le groupe le plus nombreux, environ deux cents détenues, « appartient » à Clauberg. Clauberg et Schumann sont les principaux expérimentateurs. Clauberg dispose au rez-de-chaussée, du côté gauche d’un cabinet gynécologique et d’un cabinet de radiologie. L’expérience consiste à injecter, à l’aide d’une seringue, environ 10 ml
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