Les mannequins nus
mais quoi ?… Mala a été reprise et on va la tuer. Nous sommes consternées.
— Mala (129) ! Je serre les dents. Je sens le sang couler à l’intérieur de ma bouche. Je pleure. Une chaleur atroce m’envahit. Des gouttes de sueur perlent sur mon front. Mala. Je vais crier. Je vais hurler. Je pleure. On va pendre Mala.
— Alors dans le plus profond silence, le commandant du camp s’avance au milieu de la place vide et, papier en main, nous dit : « Jude (Juifs) nous allons ce soir vous donner un exemple. La prisonnière Mala a voulu s’évader et nous l’avons reprise ; vous assisterez à sa mort car elle sera pendue. Jude, si vous voulez que le sort de Mala ne devienne pas le vôtre, n’essayez pas de vous enfuir. Travaillez, restez calmes et aucun mal ne vous sera fait. » Nous ne pouvons, à ces mots, nous empêcher de regarder le crématoire qui brûle nuit et jour. Et en pensant à Mala, un frisson nous secoue, une peine infinie, une grande détresse de ne pouvoir rien faire pour elle, pour la sauver, elle qui a tout fait pour nous.
— Un S.S. (130) veut lui passer au cou, avant de la pendre, un écriteau qui, traditionnellement, portait ces mots : « Hourrah ! je suis revenue. »
— Devant (131) la foule réunie, la jeune fille refusa énergiquement de porter l’écriteau. Les Allemands eux-mêmes en furent d’abord saisis.
— Je (132) reconnais là Mala. Son énergie, son courage. Ils nous ont réunies pour voir sa fin. Eh bien, elle va leur jouer un tour à sa manière. Je ne pleure plus. Je tremble. Mon cœur n’a jamais battu si fort, si vite. Je crois même que je souris. Mala.
— Alors (133) une chose incroyable se produisit. Rassemblant toutes ses forces, la jeune fille frappa son tortionnaire d’un coup de poing au visage.
— Mala a frappé (134) ; le S.S. s’essuie, se précipite sur elle.
— Un murmure (135) de stupéfaction parcourut la foule des déportées. Déjà les Allemands écumants de rage s’étaient jetés sur la jeune Juive.
— À ce moment (136) Mala sortit une lame Gilette qu’elle avait cachée dans sa manche et commença à se couper les veines.
— Mala (137) dresse la tête, regarde les S.S., nous regarde et se taillade les veines à l’aide d’une lame de rasoir. Un S.S. se précipite sur elle ; la ceinture…
— Un S.S. (138) la frappa sauvagement. Mala le frappa de sa main ensanglantée.
— Triomphant (139) , le chef S.S. lui attacha alors l’écriteau qu’elle avait refusé de porter. Sur un ordre, un camion vint chercher la malheureuse. On l’y jeta comme un sac de farine. Ô miracle ! Cette jeune fille, à demi morte, qui montrait un œil crevé, un visage et un corps ensanglanté, réussit cependant à se redresser et elle s’écria : « Courage mes amies ! Ils paieront ! La libération est proche. » Deux gardes allemands grimpèrent dans la voiture et frappèrent encore la jeune Juive pour la faire taire. Ils la battaient encore quand le camion démarra.
— Mala (140) attachée fut traînée au four crématoire et en punition fut brûlée vive.
— À côté (141) de moi, ma voisine mangeait des pommes de terre pourries. Nous sommes rentrées au block, et la vie a continué. Mais à l’intérieur de nous quelque chose avait changé. Nous avions Mala pour nous défendre du dégoût que nous nous inspirions.
— Mala (142) ce fut notre résistance. Notre espoir. Notre vie. Nous avons subitement compris que nous pourrions toutes être des Mala. C’est son exemple qui m’a permis de survivre. Je me suis accrochée au souvenir, au visage de Mala. Mais aucune d’entre nous n’était digne de Mala. Aucune.
*
* *
Edward Galinski fut assassiné une semaine plus tard, dans sa cellule du block 11.
L’arrestation de Mala et de Galinski provoqua probablement de profondes modifications dans la préparation militaire du « groupe de combat ». Il est certain que les dirigeants « autrichiens » et « polonais » qui ne perdirent jamais le contact avec les réseaux de Résistance extérieurs et les sections de partisans n’abandonnèrent pas le projet d’évasion massive ; mais comme cet état-major d’une quinzaine de personnes a été dans sa totalité capturé et exécuté, il est pratiquement impossible de connaître le ou les plans établis.
Cependant, les réalisations clandestines de l’été 1944 et la révolte du Sonderkommando du mois d’octobre nous permettent de
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