Les mannequins nus
bientôt, ce sera ton tour et celui de tous les hommes et de toutes les femmes. La Résistance a un plan, mais c’est vous les femmes qui serez chargées du premier acte, une sorte de grève ; après les Sonderkommandos détruiront les fours et les barbelés seront arrachés… » J’avais haussé les épaules : « Tu veux me remonter le moral. » — « Non, non, je t’assure. Tu verras bien. » J’ai promis de n’en parler à personne et je n’y pensai plus. Deux semaines plus tard, Mala s’évadait.
Mala Zimetbaum et Edouard Galinski disparurent du camp le 24 juin.
— Mala (123) s’est évadée. C’est absolument merveilleux. Nous sommes très agitées de cela. Pourvu qu’elle réussisse. Il y a tout le temps des évasions. Mais surtout des hommes. Trois sont repris. Ils sont pendus et exposés à l’entrée du camp des hommes, face à l’orchestre afin que tous ceux qui sortent du camp et qui y entrent les voient. La musique joue en face de ces cadavres et le crématoire brûle sans cesse (124) .
— Mala (125) a été capturée très rapidement. Plusieurs versions de son évasion ont circulé à travers le camp. Toutes plus fausses les unes que les autres. On a même dit que le Polonais était son amant. Il semble qu’ils soient partis tous deux, déguisés en S.S., cachés dans un transport pour l’usine Buna. Comment ont-ils été repris ? Personne ne le saura jamais.
Mala et Galinski sont enfermés dans deux cellules du block 11. Dounia Ourisson a assisté au Bureau Politique au premier interrogatoire de Mala par le S.S. Oberscharführer Boger.
— Boger (126) était le meilleur criminaliste du Bureau Politique. Les fuites des détenus et les organisations secrètes existant au camp étaient de son ressort.
« — Pourquoi t’es-tu enfuie, demanda Boger à Mala ? En tant que traductrice, tu n’étais pas malheureuse au camp.
« — J’avais la possibilité de le faire. Tout autre à ma place l’aurait fait. Je ne pouvais plus regarder torturer et maltraiter mes camarades.
« — Mais, dit le S.S. Boger, les S.S. ne battent que ceux qui ne veulent pas travailler et qui désobéissent.
« — Comment travailler si le froid, la faim, la maladie nous torturent. L’hiver, les pieds et les mains gelés, l’été terrassés par la malaria ? Être obéissante ?! Quand un S.S. donne un ordre, il veut que cet ordre soit exécuté au moment même où il le donne. Et puis, je ne pouvais plus voir gazer des dizaines de milliers de Juifs.
« — Mensonges, interrompit le S.S. Boger violemment. C’est de la propagande antihitlérienne.
— Mala sourit ironiquement :
« — Uscha Boger, dit-elle calmement, je sais qu’il nous est interdit de savoir jusqu’à l’existence des chambres à gaz. Et pourtant, nous savons pertinemment que vous gazez des centaines de milliers de personnes par an.
« — Oui, avoua Boger. Nous nous débarrassons de ceux qui sont inaptes au travail.
« — Et les transports qui arrivent du monde entier et que vous envoyez directement aux chambres à gaz, ceux-là le sont-ils aussi inaptes au travail ?
« — Mais qui a vu cela ? demanda Boger.
« — Moi-même et toutes celles dont les blocks se trouvent en face du four crématoire. Nous avons vu des femmes belles et jeunes et des enfants, et des hommes robustes et bien portants. Ils entraient aux chambres à gaz et un quart d’heure plus tard on jetait leur cadavre dans des fosses enflammées, car les fours crématoires étaient surchargés. Cela ne s’est pas passé ainsi avec le transport de Juifs hongrois ? »
Mala devait rester deux mois dans le « secret » du block 11. Elle subit plusieurs interrogatoires poussés ainsi que Galinski. Et un soir.
— Toutes les Juives sur la grand-place d’appel. Les aryennes resteront au block.
Des centaines, des milliers de femmes se bousculent.
— Je me rappelle (127) être partie, terrorisée parce que je pensais à une sélection toujours réservée aux Juives seules, et terrorisée parce que j’avais volé des pommes de terre aux Allemands et je n’avais pas eu le temps de m’en débarrasser.
— On nous range (128) par numéros. Est-ce un départ ? Est-ce pour une sélection ? Nous sommes très angoissées. Après nous avoir fait attendre un bon moment, on nous amène « nacht forne », c’est-à-dire là où les deux routes principales du camp se joignent ; c’est pour nous montrer quelque chose,
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