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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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seule responsable de la sécurité du couple impérial.
    — Pourquoi cela ?
    — Parce qu’à Vienne on ne fait pas confiance à la garde civile.
    — Ils vous prennent pour des partisans de Garibaldi ?
    Tron acquiesça.
    — C’est à peu près cela. Je n’aurai par conséquent aucune occasion de parler à Sa Majesté. On ne me laissera même pas l’approcher. À moins qu’elle ne soit victime d’un malfaiteur et qu’elle n’ait besoin de mon aide. Ce qui me paraît assez peu probable.
    Le commissaire repoussa son assiette où baignait un reste de chantilly liquéfiée et tendit la main vers la bouteille de champagne.
    — En dehors de cela, reprit-il, je doute qu’elle s’intéresse aux problèmes des verriers vénitiens. Et qu’elle soit en mesure de les résoudre.
    Pour dire la vérité, il s’attendait que sa fiancée le contredise – dans son plus bel italien de Florence. Or il n’en fut rien. En fait, elle se leva et se dirigea vers la fenêtre. Comme Moussada, l’un des serviteurs éthiopiens, avait déjà quitté la pièce, elle tira elle-même les rideaux et ouvrit les battants, dévoilant un rectangle presque entièrement noir. Seules quelques lumières du palais Barbaro, pareilles aux feux de position d’un bateau, scintillaient de l’autre côté du Grand Canal. Une bourrasque projeta dans la salle à manger une bouffée d’air humide, automnal, qui sentait le varech gelé.
    Le commissaire se leva à son tour et s’approcha de sa fiancée. À ce moment-là, elle lui sourit, tourna les yeux vers le plafond, puis l’observa d’un air interrogateur. Il savait ce que ce regard signifiait. Il l’attira à lui et l’embrassa, d’abord avec douceur, puis avec plus d’insistance. Il lui caressa le dos jusqu’à la taille. Le tissu de sa robe était lisse et soyeux.
    Tron désigna la table d’un geste de la main.
    — Tu veux que je monte le champagne ?
    — Oui, répondit-elle, cette fois dans le plus pur vénitien. Prends la bouteille. Demain, il ne sera plus bon.
    Tron ne put s’empêcher de rire.
    — Vu le prix qu’il coûte, ce serait dommage. C’est cela que tu veux dire ?
    Elle hocha la tête.
    — C’est exactement ce que je voulais dire.

8
    Chaque fois c’étaient les cris qui le tiraient du sommeil. Alors il se réveillait, trempé de sueur, mais le pire était qu’il continuait de rêver, les yeux grands ouverts, parfaitement conscient. Les images ne pâlissaient même pas avec les années ; au contraire, elles devenaient de plus en plus intenses. La petite fille sortait de la maison en hurlant, sa robe en feu, avant qu’une balle lui pénètre le visage.
    Tard dans la nuit, l’unité spéciale dont il avait le commandement avait repoussé les Chemises rouges dans une ferme au sud du lac de Garde et encerclé le bâtiment. Il avait assez d’hommes pour les empêcher de fuir, mais pas assez pour les obliger à se rendre. Comme il n’avait pas voulu tenter un assaut à cause de la femme et de la petite fille à l’intérieur, il avait envoyé un de ses soldats au quartier général tout proche pour demander des instructions.
    Il avait cru que compte tenu de leur nette supériorité numérique, les Chemises rouges se rendraient. Il ne savait pas trop ce qu’il adviendrait d’eux par la suite, car l’armée impériale ne connaissait pas souvent le pardon pour les francs-tireurs de Garibaldi, mais au moins, la mère et l’enfant seraient épargnées. Il ne pouvait pas faire mieux. Quelques prisonniers ou exécutions supplémentaires ne changeraient pas le cours de l’histoire. Deux jours plus tôt, les Autrichiens avaient été battus à plate couture à Solferino et tout le monde savait qu’ils avaient perdu la guerre. Néanmoins, ce n’était pas à lui de décider le retrait. Il n’avait aucune marge de manœuvre.
    Les renforts, un détachement de dragons de Linz, arrivèrent à l’aube : il s’agissait de deux douzaines de cavaliers aux uniformes en lambeaux, menés par un certain lieutenant Kurtz qui prit aussitôt le commandement. Kurtz refusa de négocier. Pour commencer, ses hommes mirent le feu à la toiture, puis ils tirèrent sur les rebelles qui tentaient de s’échapper. À la fin, ils tuèrent la femme et la petite fille.
    Le tribunal militaire qui le condamna trois mois plus tard pour insubordination – il avait donné un coup de poing au lieutenant Kurtz – se contenta de le dégrader. On ne l’avait pas radié de l’armée parce

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