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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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rotation, il laissait au mystérieux mécanisme de la serrure le temps de s’enclencher. Lorsqu’il eut composé le dernier chiffre, il constata que la sueur perlait à son front et que ses mains tremblaient. Malgré tout, il baissa l’imposante poignée, de la taille de son avant-bras, et tira sur la porte avec précaution. Elle s’ouvrit sans peine. Comme elle était bien huilée, elle ne grinça même pas. Königsegg poussa un soupir de soulagement.
    La cassette se trouvait à l’endroit où Grünne l’avait laissée, c’est-à-dire sur l’étagère du milieu. Il s’agissait d’un insignifiant coffret en métal, recouvert de velours vert, qui rappelait immanquablement les boîtes de confiseries de chez Demel, le pâtissier de la Cour à Vienne. Le général de division tendit le bras et l’ouvrit.
    Le collier, fixé sur un coussin en velours, était encore plus beau et plus massif que dans son souvenir. Les douze médaillons ovales, dont chacun montrait le profil d’une impératrice romaine, étaient reliés par une chaîne travaillée avec art. Ils produisaient le bruit à la fois clair et sonore des objets en or pur quand ils cognent les uns contre les autres. C’était, pensa-t-il, un de ces bijoux jadis gardés par des dragons et causes de guerres sanglantes. Il devait peser une petite livre. Königsegg ignorait le prix exact de l’or, mais cette somme suffirait à coup sûr pour rembourser ses dettes.
    Il enfouit le collier dans une poche de son uniforme, rangea la cassette et referma la lourde porte du coffre-fort. Puis il refit le chemin en sens inverse en prenant soin de ne pas poser les talons. Sur le seuil du cabinet de travail, il s’arrêta un instant et promena le faisceau de la lampe sourde à travers la pièce pour vérifier qu’il n’avait laissé aucune trace. Il y avait peu de chances que quiconque ouvre le coffre-fort dans les prochaines vingt-quatre heures. Il y avait même très peu de chances que quiconque pénètre dans le cabinet de travail avant l’arrivée de l’empereur. Si tout se déroulait comme prévu, il pourrait donc remettre le collier à sa place la nuit suivante.

7
    Tron, vêtu de sa veste d’intérieur en velours rouge, une coupe de veuve-clicquot devant lui, s’efforçait d’ignorer les regards réprobateurs de la princesse assise à l’autre extrémité de la table. Elle avait renoncé au dessert, s’était allumé une deuxième cigarette et trempait les lèvres dans son champagne. Il savait ce qu’elle pensait : qu’il ne possédait pas la maîtrise de soi nécessaire pour affronter la vie moderne.
    Elle n’avait certes pas tout à fait tort car, ce jour-là, il avait fait des choses qu’il n’aurait pas dû, mais il ne pouvait s’en empêcher : au lieu de traiter les dossiers qui s’empilaient sur le plancher de son bureau, il avait passé les deux premières heures de la matinée au Florian à boire du café, à critiquer l’unité italienne et à méditer sur le prochain numéro de l’ Emporio della Poesia . Par ailleurs, c’était sans nul doute aussi par manque d’autodiscipline qu’il négligeait de plus en plus souvent le plat principal (aujourd’hui une caille braisée) et n’y goûtait pour ainsi dire que pro forma afin de mettre tout son appétit au service des soufflés, des exquises mousses au chocolat légèrement glacées et des fruits exotiques.
    Par exemple cet ananas doré qu’il coupait en morceaux proportionnés à la taille de sa bouche à l’aide d’un couteau aiguisé et recouvrait de délicieux ingrédients. Depuis quelque temps, il n’abandonnait plus ce soin aux serviteurs éthiopiens de la princesse, mais tenait à s’en occuper en personne. Il commençait par ôter la touffe de feuilles vertes, puis divisait le fruit en tranches de l’épaisseur d’un doigt avant d’en supprimer la peau écailleuse. Ensuite, il recouvrait la chair jaunâtre de chantilly sur laquelle il ajoutait de la nougatine aux amandes ou des miettes de meringue.
    Le pire était qu’une fois qu’il avait commencé, il avait du mal à s’arrêter. Avait-il déjà dévoré quatre ananas ou n’en était-il encore qu’au troisième ? Même en admettant que ce soit le quatrième – et dernier –, pensa-t-il, ne devrait-il pas conclure le repas par une cuillère de mousse au chocolat ? Pour lui, en fin de compte, les ananas constituaient le plat de résistance. Or un plat de résistance sans dessert, cela ne s’était jamais vu.

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