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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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qu’on avait encore besoin de ses services pour des missions spéciales, des missions qu’il exécutait la plupart du temps seul.
    À Vérone, il avait tué un homme qui fabriquait du mercure détonant dans sa cave. À Bad Ems, il avait dérobé des documents dans la chambre d’un général prussien. À Saint-Pétersbourg, il avait éliminé un attaché d’ambassade qui s’apprêtait à vendre des secrets aux Russes. Sa hiérarchie appréciait l’habileté avec laquelle il exécutait ses missions. Et il avait constaté que plus une opération paraissait risquée et impossible, plus elle l’attirait. En outre, il avait toujours un compte à régler avec l’armée autrichienne.
    Depuis quelques années, son nom, pareil à l’adresse d’un grand restaurant, courait dans les casinos fréquentés par les officiers. Sans doute était-ce pourquoi le colonel Hölzl avait fait irruption chez lui à Grinzing, dans la banlieue de Vienne, deux semaines auparavant. Il l’avait écouté sans sourciller et, après un bref instant de réflexion, avait accepté son offre. C’était l’occasion qu’il attendait.
    Il se tourna sur le côté, chercha les allumettes à tâtons en maugréant et alluma la lampe à pétrole posée sur la table de chevet. Ensuite il se leva et s’avança vers la fenêtre pour fumer une cigarette. Il se sentit soulagé quand les images dans son esprit commencèrent à s’estomper. Il aimait beaucoup ce petit appartement au rez-de-chaussée, une simple pièce avec cuisine qui donnait sur la fondamenta degli Incurabili. À cette heure de la nuit, on ne voyait rien. Mais en plein jour, il pouvait admirer le canal de la Giudecca avec ses voiliers et ses bateaux à vapeur. Quel dommage qu’il dût déjà partir dans une bonne semaine !
    Sans doute, pensa-t-il, l’avaient-ils attendu sur le quai et ne l’avaient-ils pas quitté des yeux à son arrivée, la veille. Ils connaissaient le numéro du wagon et du compartiment. En outre, il n’était pas difficile à reconnaître avec son crêpe noir et son Giornale di Verona sous le bras. Ils l’avaient observé pendant qu’il négociait avec les bagagistes, puis une demi-heure plus tard, alors qu’il confiait son bien à deux hommes en noir venus exprès de San Michele. Vu la nature de la marchandise, il ne pouvait pas la laisser à la gare durant une nuit. C’est pourquoi il l’avait aussitôt expédiée sur l’île des morts.
    Dès qu’elle fut chargée sur la gondole, un homme s’était approché de lui en traînant la jambe. Il lui avait adressé la parole, présenté ses condoléances pour la mort de son père, puis proposé un logement. Pendant un court instant, il avait craint d’avoir à prononcer un mot de passe inconnu. Il avait répondu qu’il acceptait volontiers l’appartement et, à son grand soulagement, le boiteux avait eu l’air satisfait.
    Pendant le trajet, ils avaient échangé quelques politesses. L’autre n’avait rien lâché, ni sur l’importance de leur groupe, ni sur la date et le lieu de l’explosion. Il avait simplement dit que l’enterrement était prévu pour le lendemain et qu’ils n’avaient pas besoin de lui pour mettre à l’abri le contenu du cercueil. Néanmoins, il le saurait bientôt – assez tôt pour mettre la police vénitienne sur la voie. Quoique cela ne fût d’ailleurs peut-être pas nécessaire vu son excellente réputation. Le colonel Hölzl s’était dit persuadé que la garde civile ne préviendrait pas la Kommandantur. Elle s’efforcerait sans doute de tuer la bête sans aide extérieure. Comment résister à la tentation de s’approprier la peau de l’ours aux dépens de l’armée ?
    Des pas durs, à la cadence militaire, se firent entendre. Ses yeux s’étant habitués à l’obscurité, il distingua deux silhouettes et supposa qu’il s’agissait de chasseurs croates venant de la caserne toute proche et patrouillant sur la fondamenta degli Incurabili. Il recula par réflexe, bien que les soldats n’eussent rien vu qu’un insomniaque en train de fumer une cigarette à sa fenêtre.
    Il avait passé la journée à errer sans but à travers la ville et à se perdre dans le labyrinthe des petites calli et salizade où un individu familier des lieux pouvait aisément disparaître sans laisser de trace. À midi, il avait grignoté un morceau au café Florian et s’était ensuite mêlé à la foule sur la place Saint-Marc. Il s’était arrêté devant la tribune qu’on

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