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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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improviser.
    Jusqu’à présent, la conversation dans la gondole s’était limitée au strict minimum. Rossi n’avait pas l’air très curieux de mieux le connaître, il l’avait à peine interrogé. Bien entendu, Boldù savait que la discrétion était une règle d’or dans son métier. Il se retenait donc lui aussi de poser des questions.
    Lorsqu’ils eurent atteint la punta di Santa Marta – après avoir traversé le canal de la Giudecca d’est en ouest –, la pluie cessa d’un coup et le vent retomba. Sur leur droite s’étendait le Champ de Mars. Devant eux se dressait la minuscule île de Santa Chiara. Et à gauche, on distinguait dans la grisaille le pont de chemin de fer qui reliait la gare à la terre ferme. Cette vue inhabituelle – rares étaient les étrangers à s’aventurer dans cette partie de la ville – l’amusa sans raison.
    Une petite douzaine d’épaves mouillaient devant Santa Chiara. De plus près, Boldù s’aperçut qu’en attendant d’être envoyées à la ferraille, elles servaient de logis à des Vénitiens : des feux de camp brûlaient sur des gabares couvertes de cabanes, des voiliers privés de gréement supportaient des constructions provisoires. Deux chalands reliés par des cordes hébergeaient selon toute apparence un nombre de gens assez important : on entendait des cris d’enfants et des aboiements, des hommes en haillons pêchaient, appuyés au bastingage. Lorsque la gondole passa devant eux, ils détournèrent la tête avec défiance.
    Sur l’ordre de Rossi, la gondole mit le cap vers un bateau à aubes, ancré en marge de cette étrange colonie et à moitié caché par un brick sans mât, raison pour laquelle Boldù ne l’avait pas remarqué tout de suite. C’était un paquebot à roues latérales, qui avait dû perdre un jour sa cheminée, son garde-corps et ses mâts de drapeau. Une longue fente, manifestement rebouchée de l’intérieur, traversait les planches de la proue telle une balafre mal cicatrisée. On aurait dit un navire que seul un miracle avait préservé du naufrage.
    La gondole s’approcha sans bruit. Juste avant l’abordage, Boldù put lire sur un des énormes caissons qui abritaient jadis les roues hydrauliques : Patna . Sans doute un nom indien, pensa-t-il.
    Une fois en haut de l’échelle de coupée toute pourrie, fixée à la poupe du navire, il constata que même les habitants de l’étrange colonie aquatique avaient dédaigné l’embarcation. Ce n’était pas seulement le garde-corps, mais l’ensemble du bastingage qui avait disparu. La timonerie ne possédait plus ni porte ni fenêtre, le pont était jonché d’ordures. Seules les superstructures à l’avant, accessibles par un petit escalier, semblaient encore intactes. Il remarqua qu’aucun des panneaux de pont, en verre opale, n’était cassé.
    Rossi s’arrêta devant la porte, frappa trois coups et attendit. Quelques instants plus tard, un jeune homme apparut dans l’encadrement, un couteau à la main. Il hocha la tête sans un mot et s’écarta pour les laisser passer.
    Boldù fut surpris par la taille de la cabine. À la grande époque du Patna , il devait s’agir du restaurant de bord. Ici, contrairement au pont, le sol était impeccable. Une légère odeur de désinfectant planait dans l’air, presque comme dans un hôpital militaire. Un énorme bureau couvert d’une pile de feuilles en carton se dressait juste au-dessous de la source de lumière, à côté d’une machine à la fonction non moins mystérieuse que le carton. Elle se composait de deux billots sur lesquels était fixé un rouleau muni d’une manivelle à une extrémité. Il ne put s’empêcher de penser à un tournebroche.
    Son guide tourna la manivelle pour lui prouver à quel point c’était facile.
    — Ainsi, expliqua-t-il, la fabrication des mortiers gagne en précision et en rapidité. Nous avons assez de matériel pour deux cents garnitures. Et avec une feuille, nous faisons quatre parois.
    Garnitures ? Parois ? Boldù ne comprenait toujours pas ce qu’ils fabriquaient, mais jugea préférable de ne pas poser de questions.
    — Venez ! poursuivit Rossi. Je vais maintenant vous montrer où nous mélangeons la poudre explosive.
    Il ouvrit la porte du fond qui menait dans une autre cabine. Boldù nota l’existence de trois fenêtres percées – sans doute après coup – dans la paroi à bâbord. Là non plus, on ne voyait rien à travers car les vitres étaient elles aussi en

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