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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Remin
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pressé, Alvise ! Un tiers des pots de chambre vendus à Vienne sortent de nos ateliers.
    Tron ravala sa salive. De toute évidence, la princesse n’avait pas du tout lu dans ses pensées.
    — Tu m’en vois ravi.
    — Il y a juste un petit problème, poursuivit-elle. C’est que les chiffres sont trop bons.
    Elle alluma une cigarette et expira la fumée par-dessus la table du salon.
    — Plus nous vendons, plus les producteurs de Bohême renforcent leur pression. Nous devons trouver un expédient.
    — Que veux-tu dire par là ?
    — L’idéal, murmura-t-elle, serait qu’il arrive un malheur à l’impératrice…
    Elle le scruta de ses yeux verts.
    — Un petit incident qui, avec ton aide, se transformerait en grande joie.
    Ciel, on aurait dit qu’elle exigeait de lui un coup monté ! Le commissaire jugea prudent de ne pas approfondir la question.
    — Tu crois que j’aurais ainsi l’occasion d’évoquer les droits de douane ?
    Maria esquissa un petit mouvement de la tête.
    — Le couple impérial ne reste que quatre jours à Venise, objecta-t-il. Et le protocole est très strict. Cela laisse peu de place pour des petits malheurs. En dehors de cela, je crains que tu n’exagères l’influence de Sissi sur son époux.
    — Si les rumeurs provenant de Vienne ne mentent pas, non ! déclara-t-elle avec un sourire de supériorité.
    — Et que disent ces rumeurs ?
    — Que l’impératrice intervient activement dans les affaires politiques. Et que François-Joseph se range de plus en plus souvent à son avis. Les mouvements nationaux se renforcent tous les jours et l’empereur n’a aucun remède.
    — Quel est celui de Sissi ?
    — Lâcher la bride et faire preuve de compréhension. Ce qui ne convient guère aux intrigants de la Cour et encore moins à la grande-duchesse Sophie.
    — Comment sais-tu tout cela ?
    — Par Hyazinth de Ronay, notre représentant à Vienne. Il connaît bien Ida Ferenczy, la lectrice de Sa Majesté.
    — Tu crois que la présence de Sissi aux côtés de son mari cache des raisons politiques ?
    — Cela ne me paraît pas exclu. Si tel était le cas, tant mieux pour nous ! On pourrait interpréter l’introduction de nouvelles taxes douanières comme un affront envers la Vénétie. Cette affaire ne représente pas seulement un enjeu économique, mais aussi politique.
    — En d’autres termes, le destin de la monarchie austro-hongroise dépend de ton verre pressé, lâcha Tron.
    La princesse, sourde à l’ironie de cette remarque, hocha la tête avec le plus grand sérieux.
    — On pourrait le formuler ainsi, en effet.
    — Je me demande quels projets amènent l’impératrice à Venise.
    — Elle n’est pas obligée d’avoir en tête un plan précis. Sa simple présence suffit amplement car, à l’inverse de son mari, elle sait tout à fait disposer les gens en sa faveur. Tu es bien placé pour le savoir.
    Au souvenir de leur rencontre, Tron sourit.
    — Tu as raison ! Néanmoins, là n’est pas la question. Je n’arrive tout simplement pas à m’imaginer que son influence sur l’empereur soit aussi grande que tu le prétends.
    — C’est ce que pensaient beaucoup de gens. Or ils se trompaient tous.
    La princesse regarda son fiancé tout en écrasant sa cigarette.
    — Veux-tu apprendre quelques informations concernant la Hofburg ?
    — J’adore les informations sur la Hofburg ! répondit-il.
    — Eh bien, cet été, François-Joseph et Sissi se sont déchirés.
    — À quel sujet ?
    — À propos de Rodolphe, le prince héritier. Et de son précepteur, le comte Leopold Gondrecourt. Un individu abject, protégé par la grande-duchesse Sophie.
    La princesse fit une pause calculée.
    — Que dirais-tu d’un précepteur qui réveille son élève en pleine nuit à coups de pistolet et l’asperge d’eau dans son lit ?
    — Quel âge a le petit ? demanda le commissaire, curieux de découvrir l’objectif de cette digression.
    — Six ans, répondit-elle.
    — Je tiendrais cet homme pour un tortionnaire.
    Elle hocha la tête.
    — C’est également l’opinion de Sissi. Cet été, elle a écrit une lettre virulente à son mari : ou bien lui, ou bien moi.
    Tron fronça les sourcils.
    — Elle aurait demandé le divorce s’il avait refusé de renvoyer Gondrecourt ?
    — Parfaitement.
    — Et alors, que s’est-il passé ?
    — Le comte Gondrecourt a été forcé de tirer sa révérence. Rodolphe a désormais un précepteur choisi par sa mère, un libéral. Au grand

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