Les masques de Saint-Marc
d’une grande casserole, montés sur un socle en fer et reliés par des tuyaux en cuivre. Ces deux cylindres étaient munis d’une trappe. Le commissaire s’agenouilla devant et en sortit une bobine de fil. Quand il la déroula, une espèce de poudre noire resta collée à ses doigts. Il ne put s’empêcher de penser aux mèches des fusées que les Vénitiens tiraient tous les ans pour la fête du Rédempteur. Il en coupa un bout à l’aide de son canif et se releva.
— Vous avez des allumettes, Bossi ?
Son assistant hocha la tête.
— Alors allumez-moi ce bout de fil.
Bossi frotta une allumette et l’approcha d’une extrémité de l’échantillon. Il se forma une petite flamme qui s’éteignit aussitôt tandis qu’un rougeoiement sombre consumait le fil avec un léger sifflement. Le jeune inspecteur haussa les sourcils.
— Des mèches ?
— Cela m’en a tout l’air.
— Vous pensez la même chose que moi, commissaire ?
— Si vous voulez dire qu’entre de la poudre explosive et des mèches il existe un rapport, et que deux fractures de cervicales en si peu de temps ne relèvent pas du hasard, oui. Mais que pensez-vous de cet appareil ? Vous qui êtes spécialiste en technique moderne ?
Bossi jeta un regard d’expert sur les deux cylindres en cuivre.
— Il se peut qu’on chauffe une substance dans le tube de gauche, déclara-t-il. Une substance dégageant un gaz qui passerait dans le tube de droite par l’intermédiaire des tuyaux. Cela ressemble un peu à un alambic. En même temps, il ne peut pas y avoir de pression puisque les trappes à l’avant n’ont pas de joint.
Il esquissa une grimace pensive.
— En fait, cette construction est complètement absurde. On dirait un accessoire de théâtre. Peut-être que l’homme dans la cuisine pourra nous en dire plus.
Tron l’approuva.
— Je m’en occupe. Vous n’avez qu’à prendre vos photos avant d’interroger la voisine.
Quand le commissaire ouvrit la porte, l’homme en redingote assis dans la cuisine leva vers lui un regard morne. On aurait dit qu’il attendait le bourreau. Son haut-de-forme, posé à l’envers sur la table, faisait penser à une soupière dans laquelle on lui aurait servi son dernier repas. En outre, cet homme ressemblait étrangement à Königsegg.
Tron ne fit aucun effort pour cacher sa surprise.
— Général ?
L’intendant en chef de Sa Majesté baissa le chef et resta plusieurs secondes dans cette position. Puis il leva de nouveau les yeux, hocha la tête de manière imperceptible et fixa le commissaire avec une mine qui semblait vouloir dire : Tout est perdu *.
Tron toussota.
— Vous auriez dû dire qui vous êtes, mon général !
Königsegg haussa les épaules avec résignation. Puis il inspira bruyamment et se cala contre le dossier de sa chaise.
— À quoi bon, commissaire ? Je ne suis pas pressé.
— Que s’est-il passé ?
Après quelques secondes de réflexion, Königsegg expliqua d’une voix lasse : — Je devais parler affaire avec le monsieur qui habite ici. Comme la porte était entrouverte et que personne ne répondait à mes appels, je suis entré dans l’appartement. Là, j’ai constaté qu’il était absent.
— Tombé devant l’armoire, rectifia Tron.
Le général de division secoua la tête.
— Non, il en est sorti quand j’ai ouvert la porte.
— Il était dans la penderie ?
— Oui, mort. Ne me demandez pas comment il y est entré !
— Et pourquoi avez-vous ouvert l’armoire ?
Königsegg se pencha au-dessus de la table et tripota la soupière – son chapeau – en évitant de regarder Tron.
— Je cherchais quelque chose.
Le commissaire fronça les sourcils.
— Votre visite a-t-elle un rapport quelconque avec l’interpellation de l’homme qui voulait vous vendre un collier ?
— Les choses ne se sont pas passées tout à fait comme je l’ai raconté, concéda l’Autrichien.
Il jeta un coup d’œil à la porte pour s’assurer qu’elle était close.
— Puis-je compter sur votre discrétion ?
— Cela va de soi, mon général.
— Eh bien, de temps à autre, je vais jouer une petite partie au casino Molin.
Königsegg regarda le commissaire d’un air candide.
— Même si je ne suis pas… euh…
Tron se doutait de la suite : « Je ne suis pas un joueur. »
— Je ne suis pas un joueur, reprit le général.
« Tiens, qu’est-ce que je disais ? Mot pour mot. »
— Or il y a quelques jours, je n’ai vraiment pas eu de
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