Les masques de Saint-Marc
chance.
Il poussa un profond soupir et leva de nouveau les yeux vers son interlocuteur.
— Cinq mille cinq cents florins, lâcha-t-il. D’un coup, pouf !
Il poussa un soupir encore plus profond.
— J’ai donc été obligé de signer au directeur une reconnaissance de dette. Vous imaginez ma joie quand j’ai fait la connaissance de M. …
— Il s’appelait Ziani.
— De M. Ziani, enchaîna le général. Il m’avait en effet assuré que contre une certaine commission, il pouvait doubler n’importe quelle quantité d’or.
— Doubler n’importe quelle quantité d’or ?
Königsegg hocha la tête.
— Parfaitement. À l’aide d’un appareil de son invention. Vous l’avez peut-être vu, il se trouve dans la chambre.
Le malheureux fixait le bord de son chapeau. Il dit avec un haussement d’épaules : — Je sais bien que ce genre de multiplication n’est pas légal.
— Quel genre de multiplication, mon général ?
Königsegg haussa les sourcils avec étonnement.
— Vous n’en avez jamais entendu parler ?
— Non, avoua le commissaire.
— Il suffit de verser quelques gouttes de mercure dans l’appareil pour reproduire un objet en or. M. Ziani m’a d’abord fait une démonstration avec mon alliance. Sinon, je ne lui aurais jamais confié le collier !
Il émit un petit rire.
— Je ne suis pas un âne tout de même !
— Et alors ?
— Nous étions en pleine duplication instantanée quand deux policiers ont surgi dans l’appartement.
— Ici ?
— Non, dans celui du campo Santo Stefano.
— Et après ?
— Ils ont confisqué le collier et nous ont emmenés. Par chance, M. Ziani et moi avons réussi à nous enfuir.
— Sauf que, le lendemain, vous avez appris qu’il n’y avait jamais eu d’arrestation cette nuit-là.
Königsegg hocha la tête.
— D’où il ressortait, comme vous l’avez suggéré, que ce n’étaient pas de vrais policiers.
— Mais pourquoi avoir refusé mon aide ?
— Je voulais résoudre ce problème seul.
Le général se remit à tripoter son haut-de-forme. Puis, après un long moment de silence, il ajouta : — C’est qu’il s’agit d’un collier très particulier.
— Dans quelle mesure ?
— Il provient du palais royal, dit-il d’une voix terne.
— Il ne vous appartient pas ?
Le malheureux secoua la tête, retroussa les lèvres et entreprit de mastiquer, comme s’il dégustait son repas de condamné.
— Je l’ai juste… emprunté, précisa-t-il enfin.
— Emprunté à qui ?
— Je l’ai pris dans le coffre-fort de Sa Majesté.
— Pardon ?
Königsegg fixa Tron, mais son regard le traversait comme s’il voyait derrière lui un échafaud imaginaire.
— Le collier en or appartient à l’impératrice, conclut-il d’une voix monocorde.
Bossi se redressa de manière si brusque qu’une embarcation plus petite que la gondole de police se serait mise à rouler.
— Cette histoire est proprement incroyable, commissaire !
Il grimaça, comme s’il ne savait pas s’il devait rire ou garder son sérieux.
— Le général s’introduit de nuit dans les appartements de l’empereur, détourne le collier et se fait gruger de la manière la plus grossière. Pour comble d’ironie, quand il retrouve la trace de Ziani, il découvre son cadavre dans une armoire !
L’inspecteur roula des yeux.
— Vous a-t-il révélé comment il s’y est pris pour ouvrir le coffre dans le cabinet de l’empereur ?
— Le code n’est autre que la date de naissance de François-Joseph. Il n’a eu aucun mal.
— Et que va-t-il se passer quand on découvrira la disparition du collier ?
— On ordonnera d’abord une enquête interne, dit Tron. Ensuite la police militaire finira bien par se tourner vers nous.
— La question est de savoir comment nous, nous allons traiter cette affaire.
— Nous allons enquêter.
— Contre un général de division ?
Tron secoua la tête.
— Non, je lui ai promis une absolue discrétion. Mais ce n’est pas notre principale préoccupation pour le moment.
Il plia les jambes pour ne pas se cogner sans cesse aux valises contenant les plaques sèches à la gélatine , que Bossi avait posées devant eux juste à côté de l’appareil photographique. Dès que ses pieds effleuraient les caisses en bois, l’inspecteur tressaillait.
— Qu’est-ce que Lionardo vous a dit ? demanda Tron.
— Selon lui, on ne saurait exclure qu’il s’agisse du même meurtrier que dans le train de dimanche dernier,
Weitere Kostenlose Bücher