Les Médecins Maudits
comprend. Le détenteur de ce secret deviendra le sauveur de l’Empire de Mille ans. Que de temps gagné aussi… Le grignotement et l’occupation des territoires vierges iront deux fois plus vite puisque, dans le même temps, deux fois plus d’enfants verront le jour. Et déjà sur le papier, le rêve prend réalité : un statisticien de l’Ahnenerbe écrit à l’un de ses amis :
— Les grossesses moyennes ramenées à cent trente-cinq jours…
Eh oui bien sûr ! Neuf mois divisés par deux ! Dieu lui-même n’y aurait pas songé.
*
* *
Mengele se précipite dans son « grand œuvre ». Il n’a pas à se poser la question :
— Comment trouver ces jumeaux ?
La rampe de sélection qu’il dirige déverse son torrent ininterrompu de chairs et de muscles.
— À droite.
Un coup de stick sur la botte.
— À gauche.
Un coup de stick sur la botte.
— Vous les jumeaux ici, près de moi.
Un coup de stick sur la botte.
Droite, stick, gauche…
A droite les chairs pour le crématoire. À gauche les muscles pour les commandos de travail. Il fallait le voir se tenant debout, souriant, affable, détendu, la main droite dans le dolman de son uniforme, dans un geste « à la Napoléon ». Il se disait d’ailleurs descendant du prince Rodolphe d’Autriche.
« Il sifflait xxx un air de la Tosca et cet air signifiait la mort pour des centaines ou des milliers de déportés. Mengele sifflait toujours la Tosca quand il était de bonne humeur, quand il avait de grandes sélections à faire. »
Le dernier coup de stick claquait sur la botte. Autour de lui, hébétées, craintives, les « bêtes curieuses », étranges ou difformes du « cirque Mengele » comme appelaient ces groupes les autres SS.
Les jumeaux comprennent, dès leur arrivée au camp, cet intérêt que leur porte le médecin-juge. Depuis qu’ils sont nés, des dizaines de médecins les ont auscultés, étudiés. Une chance nouvelle de sollicitude leur est accordée. Les plus jeunes sont abandonnés par leur mère : elles aussi savent que la science est friande des anomalies.
Les chairs et les muscles s’en vont vers leurs destins, les jumeaux vers la gloire de Mengele. La première étape est coquette, chaude, accueillante. Un presque paradis au cœur de l’enfer : la baraque 14 du camp F. Du bouillon, de la viande, des pommes de terre, un bouquet de fleurs, des vêtements civils neufs, un coiffeur en blouse blanche, le peigne d’écaillé en pochette. Et des sourires. J’oubliais des toilettes avec du papier hygiénique. Ils attendent. Couple après couple, jour après jour ils disparaissent dans le camp des tziganes. Déjà le purgatoire avec sa cohorte d’observations scientifiques humiliantes et douloureuses : de la toise aux photos anthropométriques, en passant par les ponctions, prises de sang avec échange de frère à frère, dosages, examens, séances de pose devant le chevalet et les fusains de Dina, une déportée qui, en d’autres temps, exposait ses toiles dans les galeries de Prague.
Mais ces longues constitutions de dossiers ne peuvent apporter aucune découverte capitale. Des milliers de médecins en ont établi d’identiques avant la guerre. La guerre est une chance pour la recherche. Les plus hautes autorités du pays « couvrent » les débordements des expérimentateurs. Alors, il faut avancer en terrain inconnu. Jamais un chercheur n’a eu, sous son scalpel, les deux mêmes corps étrangement semblables ; un cadavre et son ombre. Bien sûr des jumeaux écorchés ont été déjà observés mais l’un après l’autre, à la seconde de leur mort, parfois à des années d’intervalle.
— Il arrive xxxi ici une chose unique dans l’histoire des sciences médicales du monde entier.
La détenue polonaise Maria Kusmierczuck montre les blessures laissées à sa jambe par une opération au camp de Ravensbrück. Ces expériences étaient dirigées par le Dr Gebhart et elles servaient de tests à « une étude sur les sulfamides ». « Maria Kusmierczuck se souvient qu'au beau milieu de l'opération, sous anesthésie locale, elle vit, horrifiée, le professeur Gebhart brandir un marteau et s’acharner sur les os de sa jambe mis à nu. »
Archives du centre de Doc. juive
Deux frères jumeaux meurent ensemble et en même temps et on a la possibilité de les soumettre à l’autopsie.
Ils meurent parce que Mengele les tue.
— La victime est installée dans un fauteuil de
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