Les murailles de feu
les Alliés, Dithyrambe parut comprendre l’intention subtile de Dienekès. Il se rangea aux côtés du Spartiate et de son épée levée imposa le silence, afin que Dienekès pût parler.
— Je méprise l’instinct de conservation qui a amolli ces infâmes couards la nuit dernière, déclara-t-il, mais je déteste bien plus, camarades, la passion dont vous êtes possédés en ce moment.
Il indiqua les captifs agenouillés devant lui.
— Ces hommes que vous appelez aujourd’hui des couards se battaient hier à vos côtés. Et peut-être avec plus de courage que vous.
— J’en doute ! cria un soldat.
De nouvelles clameurs et des appels au meurtre s’élevèrent.
Dienekès attendit que le tumulte se calmât.
— À Lacédémone, nous avons un mot pour désigner votre état d’esprit actuel, mes frères. Nous l’appelons « possession ». Cela signifie céder à la peur ou à la colère qui dissolvent l’ordre dans une armée et la réduisent à une meute. Il fit un pas en arrière. Oui, ces hommes ont pris la fuite la nuit dernière. Et quelles étaient alors vos secrètes aspirations ? Les mêmes que les leurs !
Il pointa l’épée vers les misérables créatures à ses pieds.
— Comme eux, vous rêviez de vos femmes et de vos enfants. Comme eux, vous vouliez sauver votre peau. Comme eux, vous faisiez des plans pour vous enfuir et vivre !
Des dénégations furent bredouillées, puis s’éteignirent sous le regard féroce de Dienekès et la vérité qu’il exprimait.
— Et moi aussi j’avais de pareilles pensées. Toute la nuit j’ai songé à fuir. De même que tous les officiers et tous les Lacédémoniens ici, y compris Léonidas.
Un silence gêné pesa sur les hommes.
— Oui ! cria quelqu’un. Mais nous ne l’avons pas fait !
Des murmures d’approbation montèrent.
— C’est vrai, admit Dienekès, d’une voix adoucie et considérant maintenant les trois captifs. Nous ne l’avons pas fait.
Il recula pour que tout le monde pût les voir.
— Que ces hommes vivent le reste de leur vie affligés par la conscience de ce qu’ils ont fait. Qu’ils se réveillent chaque matin avec le souvenir de cette infamie et se couchent chaque soir avec le sentiment de leur honte. Ce sera leur sentence, bien plus amère que le sort qui sera le nôtre demain au crépuscule.
Il recula encore.
— Frayez-leur la voie !
Les captifs commencèrent alors à l’implorer. Le premier, un jeune homme imberbe d’à peine vingt ans, déclara que sa ferme misérable se trouvait à moins d’une demi-semaine de marche et qu’il avait tremblé pour sa nouvelle épouse, son nouveau-né, sa mère et son père infirmes. L’obscurité, confessa-t-il, l’avait privé de son courage, mais il s’en repentait. Il joignait les mains dans un geste de supplication, les yeux fixés sur Dienekès et Dithyrambe.
— Je vous en prie, ce n’était qu’un crime passager, c’est fini, je me battrai aujourd’hui et personne ne m’accusera de manquer de courage.
Les deux autres, qui avaient la quarantaine, jurèrent bruyamment qu’eux aussi se battraient avec honneur. Dienekès les dominait.
— Frayez-leur la voie !
Et les soldats se rangèrent pour laisser le passage libre aux couards.
— Quelqu’un d’autre ? demanda Dienekès d’une voix sonore et pleine de défi. Qui d’autre veut aller se promener ? Qu’il sorte tout de suite et qu’il la boucle d’ici aux Enfers !
Aucun spectacle sous les cieux n’était sans doute plus lamentable que celui des trois hommes qui avançaient voûtés sur la voie de la honte, entre leurs camarades silencieux. Je parcourus les visages du regard. La fureur hypocrite et sanguinaire en avait disparu, remplacée par une expression penaude et gênée. La rage allumée au tréfonds de chacun se changeait en une détermination auprès de laquelle la mort même n’était qu’une péripétie. Dienekès remonta sur la butte et, alors qu’il revenait vers Alexandros et moi, un officier des Skirites lui prit la main dans les siennes.
— C’était remarquable, Dienekès. Tu as fait honte à toute l’armée. Personne n’osera plus quitter ce sol.
Mais, loin de refléter de la satisfaction, le visage de mon maître exprimait le chagrin. Il jeta un regard aux trois minables qui s’en allaient la vie sauve.
— Ces pauvres hères se sont battus toute la journée d’hier sur le front. J’ai pitié d’eux de tout mon cœur.
Les
Weitere Kostenlose Bücher