Les murailles de feu
gorge et il tomba si vite qu’il parut englouti par la terre. L’on se battit férocement pour emporter son cadavre. Pourquoi ? Il n’était ni roi ni officier, rien qu’un étranger qui s’était attaché à soigner les jeunes gens et à les faire rire.
La nuit allait tomber. Les Hellènes pantelants, épuisés, accusaient de lourdes pertes, tandis que les Perses lançaient des combattants frais dans la bataille. Poussés de l’arrière par les fouets de leurs officiers, ils poussaient aussi ceux de l’avant vers les Grecs. Sa Majesté se le rappelle-t-Elle ? Un violent orage avait éclaté et la pluie tombait à torrents. Presque toutes les armes des Alliés étaient perdues ou cassées. Chacun d’eux avait usé une douzaine de lances et personne n’avait plus son bouclier, depuis longtemps perdu, il en était au huitième ou dixième ramassé au sol. Même les épées courtes rendaient l’âme, car elles se démanchaient sous l’usage et l’on se battait avec des bouts de fer et des demi-lances sans pointes.
L’ennemi se taillait une trouée, à une douzaine de pieds du Mur. Seuls les Spartiates et les Thespiens demeuraient devant ce rempart, tous les autres alliés ayant été repoussés à l’arrière. Les masses perses occupaient tout le triangle depuis le goulet, sur une longueur d’une centaine de pas. Les Spartiates reculèrent. Je me retrouvai près d’Alexandros sur le mur, hissant les hommes au sommet, les uns après les autres, tandis que les Alliés faisaient pleuvoir sur l’ennemi des javelines, des morceaux de lances, des pierres et des cailloux, voire des casques et des boucliers. Les Alliés et même les Spartiates, mon maître, Polynice, Alphée et Maron cédèrent du terrain et battirent en retraite dans le désordre, jusqu’à cinquante ou cent pas en arrière du Mur. L’ennemi arrachait littéralement les pierres du Mur, l’escaladant et puis dévalant les marches de l’autre côté, vers les camps sans protection des Alliés. La défaite était imminente quand, soudain, avec la victoire à portée de main, les Perses s’arrêtèrent, comme si leur courage leur faisait soudain défaut. Ils avaient été saisis par une terreur sans cause. La puissance qui les avait soudain privés de force et de courage est impénétrable à la raison. Peut-être les guerriers de l’Empire ne croyaient-ils pas à l’imminence de leur triomphe, ou peut-être encore se battaient-ils depuis si longtemps devant le Mur qu’ils ne saisissaient pas la réalité qui s’offrait à eux. Quoi qu’il en soit, leur élan s’arrêta. Un calme irréel s’abattit sur le terrain.
Et du ciel déferla un grondement inhumain. Les cheveux se dressaient sur la nuque. Je m’élançai vers Alexandros, figé par l’épouvante comme tous les autres hommes sur le terrain. Un éclair de puissance surnaturelle s’abattit au-dessus de nous, sur le flanc du Kallidromos, le tonnerre retentit et de grosses pierres roulèrent le long de la montagne. De la fumée sulfureuse s’éleva dans l’air. Tout le monde était cloué sur place de frayeur, sauf Léonidas, qui courut vers le front et dont la voix résonna :
— Zeus Sauveur ! L’Hellade et la liberté !
Il cria un péan et s’élança vers l’ennemi. Un courage neuf se répandit dans les cœurs des Alliés et ils foncèrent vers la contre-attaque. L’ennemi sur le Mur dégringola, paniqué par le prodige céleste. Je me retrouvai de nouveau sur les pierres branlantes et glissantes, lançant sur l’ennemi en déroute, Perses, Bactriens, Mèdes, Illyriens, Lydiens, Égyptiens, lance après lance.
Sa Majesté fut témoin de l’horreur du carnage qui s’ensuivit. Les premiers rangs des Perses, terrifiés, se heurtèrent à leurs arrières que fouettaient les officiers. Ce furent comme deux vagues allant en sens contraire et des milliers d’hommes se foulèrent aux pieds, écrasant ceux qui se trouvaient au centre du choc.
Léonidas avait déjà demandé aux Alliés de construire un second mur, celui-là avec les cadavres ennemis. Ce fut ce mur qui se forma. Ces cadavres furent si nombreux qu’aucun soldat allié ne mit le pied sur le sol. Pendant ce temps, les fuyards perses se jetaient vers les fouets de leurs arrières, massacrant eux-mêmes leurs compagnons à l’épée et à la lance, saisis par le besoin sanguinaire de fuir. D’autres centaines d’hommes tombèrent à la mer. Les Spartiates escaladèrent le mur de cadavres, si haut
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