Les murailles de feu
alors le camp ennemi.
Aucun spectacle au monde, même pas celui de Troie assiégée, ni même de la guerre entre les dieux et les Titans, n’aurait pu le disputer à celui qui s’étendait sous nos yeux. Aussi loin que portât le regard, trente stades de plaine jusqu’à la mer, sur plus de quarante-cinq stades de large, jusqu’aux contreforts des falaises trachiniennes, c’étaient des milliers d’ares qui brillaient de tous les feux ennemis, grossis par la brume.
— Ils sont loin de faire leurs bagages !
Dienekès appela le Coq près de lui. L’hilote décrivit le site comme il se le rappelait. Les chevaux de Xerxès buvaient le plus haut en amont, avant le reste du camp. Pour les Perses, les rivières sont sacrées et doivent être conservées pures. Tout le haut de la vallée était réservé aux pâturages. La tente du Grand Roi, assura le Coq, se dressait en haut de la plaine, à portée de flèche de la rivière.
Les commandos descendirent directement au-dessous des murs de la citadelle et entrèrent dans le torrent. À Lacédémone, l’Eurotas est alimenté par la fonte des neiges et, même en été, ses eaux glacent le sang. L’Asope était encore pire. On s’y trouvait transi en un instant et au point que cela nous alarma : si nous devions bondir hors de l’eau, nous aurions les jambes et les pieds insensibles.
Heureusement, le torrent perdait de sa force quelques centaines de pieds plus bas. Les commandos roulèrent leurs manteaux en ballots et les placèrent sur les boucliers, pointes en bas. L’ennemi avait jeté des barrages, pour ralentir le courant et permettre aux chevaux et aux hommes de s’abreuver plus commodément. Des sentinelles patrouillaient là, mais le brouillard et le vent sévissaient, il était tard et, de toute façon les sentinelles étaient négligentes, car persuadées que les parages étaient infranchissables. Les Grecs purent se faufiler en passant les déversoirs à plat ventre, puis en longeant la rive dans l’ombre des arbres.
La lune s’était couchée. Le Coq ne parvenait pas à retrouver la tente de Sa Majesté.
— Elle était là, je le jure !
Et il indiquait un monticule sur lequel il n’y avait que les tentes des domestiques, qui claquaient dans le vent, et une corde qui tenait ensemble les chevaux dans la bourrasque.
— Ils ont dû la déplacer !
Dienekès tira son épée. Il se préparait à lui trancher la gorge sur-le-champ pour traîtrise. Le Coq jurait par tous les dieux dont il pouvait se rappeler le nom. Non, disait-il, il ne mentait pas. Les choses sont différentes dans l’obscurité. Ce fut Polynice qui lui sauva la vie.
— Je le crois, Dienekès. Il est tellement stupide, c’est le genre d’errreur qu’il ferait.
Les Grecs avancèrent, plongés jusqu’au cou dans le courant qui leur gelait la moelle. À un certain moment, Dienekès se prit le pied dans un nœud de roseaux et il dut mettre la tête sous l’eau pour se libérer à l’aide de son épée. Il ressurgit en grognant et riant. Je lui demandai la cause de sa gaieté.
— Je me demandais s’il était possible de tomber encore plus bas.
Il ricana sombrement.
— Je suppose que, si un serpent de rivière se glissait dans mon cul et donnait naissance à des quintuplés…
Soudain, le Coq serra de la main l’épaule de mon maître. À une centaine de pas devant nous il y avait un autre barrage et un autre déversoir. Trois pavillons de toile se dressaient sur une berge plaisante. Une allée éclairée par des lanternes montait la côte, le long d’un enclos protégé, où se trouvaient des chevaux de guerre. Il y en avait une douzaine, drapés de couvertures et d’une telle beauté que chacun d’eux devait représenter les revenus d’une petite cité. Au-dessus, dans un bouquet de chênes, des fanaux de fer se balançaient en grinçant dans le vent et, au-delà d’une garde de marins égyptiens, on distinguait, couronnés d’étendards, les poinçons de combles d’un pavillon si grand qu’il aurait pu abriter un bataillon.
— C’est ça, dit le Coq en montrant du doigt, c’est la tente de Xerxès.
2
Les pensées du guerrier au moment de l’action, avait souvent déclaré mon maître, cet expert de la peur, répondent à un schéma invariable et inévitable. Il semble qu’il y ait toujours un moment, parfois guère plus long qu’un battement de cœur, où l’esprit conçoive les trois visions suivantes, souvent dans le même
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