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Les murailles de feu

Les murailles de feu

Titel: Les murailles de feu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Steven Pressfield
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ordre.
    D’abord apparaissent les visages des êtres chers et loin du danger : sa femme, sa mère, ses enfants, surtout si ce sont des filles et si elles sont jeunes. Celles qui survivront et porteront son souvenir dans leur cœur. Il chérit ces images-là. Il leur adresse son amour et leur dit adieu.
    Puis l’esprit convoque les images de ceux qui ont déjà passé la rivière et qui l’attendent sur la rive lointaine de la mort. Pour mon maître, c’étaient son frère Iatroclès, son père et Idotychide, le frère de sa femme. Le guerrier accueille ces images-là en silence, invoque leur aide et puis les efface.
    Enfin viennent les dieux qui l’ont le plus favorisé et qu’il a le plus révérés. Il leur remet son esprit, s’il en a le loisir.
    Ce n’est qu’ensuite que le guerrier revient au présent et se tourne, comme s’il sortait d’un rêve, vers ceux qui sont à ses côtés et qui affronteront comme lui la mort. C’est là, observait Dienekès, que les Spartiates ont l’avantage sur tous leurs ennemis. Sous quelle autre bannière trouverait-on des hommes tels que Léonidas, Alphée, Maron ou bien ici même, dans cette boue, Doréion, Polynice et mon maître lui-même ? Le guerrier éprouve alors pour eux, qui partageront la barque infernale avec lui, un amour plus grand que ceux dont les dieux ont doté l’humanité, à part celui d’une mère pour son enfant. Il leur consacre tout et aussi bien, ils lui consacrent tout.
    Accroupi sur la rive, sans casque, mais drapé dans sa cape rouge qui paraissait noire dans la nuit, Dienekès se massait la cheville de la main droite, s’efforçant de rétablir sa flexion. Près de lui, Alexandros dépolissait la hampe de sa lance avec du gravier de la rivière, pour affermir sa prise. Polynice marmonnait des jurons en glissant son avant-bras dans la brassière de bronze et de cuir détrempé de son bouclier, cherchant le point d’équilibre et la meilleure prise sur la poignée. Chien, Lachide, le Joueur de Ballon, le Coq et Doréion se livraient aussi à leurs préparatifs. Suicide assortissait prestement ses javelines, comme un chirurgien qui prépare ses instruments, choisissant celles dont le poids et l’équilibre lui assureraient la meilleure trajectoire, une pour la main qui lancerait et deux autres pour la main libre. J’allai m’accroupir près de ce Scythe, avec lequel je devais former une paire.
    — On se revoit au bateau des Enfers, dit-il en m’entraînant vers l’endroit à partir duquel nous attaquerions.
    Son visage serait-il le dernier que je verrais ? Il avait été mon mentor et mon éducateur depuis que j’avais quatorze ans ; il m’avait appris à me mettre à couvert et ce qu’était l’intervalle dans une formation, comment épancher une plaie franche et redresser une clavicule fracturée, comment évacuer un cheval d’un terrain exposé et un guerrier blessé en le traînant sur son manteau. Avec son adresse et son audace, il aurait pu s’engager comme mercenaire dans n’importe quelle armée, et même chez les Perses s’il l’avait voulu. Il aurait été nommé capitaine d’un détachement de cent hommes et il aurait été couvert de femmes et d’argent. Et pourtant, il avait préféré servir sans solde dans la rude compagnie des Spartiates.
    Je songeai au marchand éléphantin. Suicide était celui qui, dans tout le camp, s’était le plus attaché à ce personnage à l’humeur vive et gaie ; ils étaient rapidement devenus amis. À la veille de ma première bataille, tandis que le peloton de mon maître préparait le souper, ce marchand arriva. Il avait vendu tout ce qu’il avait et même sa charrette et son âne, même son manteau et ses sandales. Et là, il circulait distribuant des poires et de petits gâteaux aux guerriers. Il s’arrêta près de notre feu. Mon maître procédait souvent le soir à un sacrifice ; pas grand-chose, un bout de pain et une libation ; sa prière était silencieuse, juste quelques paroles du fond de son cœur à l’intention des dieux. Il ne disait pas la teneur de sa prière, mais je la lisais sur ses lèvres ; il priait pour Aretê et ses filles.
    — Ce sont ces jeunes hommes qui devraient prier avec autant de piété, observa le marchand, et pas vous, vétérans ronchonneurs.
    Dienekès invita avec empressement le marchand à s’asseoir. Bias, qui était encore vivant, s’était moqué du manque de prévoyance du marchand ; comment s’échapperait-il,

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