Les murailles de feu
battus aujourd’hui. Leur ombre s’étendait sur le champ de bataille. Et voilà pourquoi aussi des billets restent dans ce panier. Vingt-huit des hommes les plus nobles de notre cité ne reverront pas la beauté de ses collines et ne danseront plus à sa douce musique. Je sais que beaucoup d’entre vous pensent que je suis à moitié fou, moi et le roi Cléomène avant moi.
Des rires fusèrent.
— J’entends ce qu’on murmure et que parfois l’on dit plus fort…
Autres rires.
— Léonidas entend des voix. Il risque sa vie d’une façon bien peu royale et il se prépare pour une guerre contre des ennemis qu’il n’a jamais vus et dont beaucoup d’entre nous pensent qu’il ne viendront jamais. Tout cela est vrai…
Les hommes riaient toujours.
— Mais écoutez-moi bien et n’oubliez jamais que les Perses viendront. Ils viendront en nombre bien plus grand qu’il y a quatre ans, quand les Athéniens et les Potidéens les ont vaincus si glorieusement sur la plaine de Marathon. Ils seront dix fois, cent fois, mille fois plus nombreux. Et ils viendront bientôt.
Léonidas s’interrompit à nouveau, le visage congestionné par l’émotion et les yeux brûlant de l’ardeur de convaincre.
— Écoutez-moi, frères. Le Perse n’est pas un roi comme Cléomène le fut pour vous et comme je le suis. Il ne participe pas au combat, avec son bouclier et sa lance, mais il l’observe de loin, du haut d’une colline, sur un trône d’or.
Des ricanements parcoururent son audience.
— Ses camarades ne sont pas ses pairs, libres de s’exprimer devant lui sans peur ; ce sont des esclaves, ses meubles. Tout homme, quelle que soit sa naissance, n’est pas considéré comme son égal devant les dieux, mais comme propriété du roi, tout comme un porc ou une chèvre, et ce n’est ni l’amour de son pays ni celui de la liberté qui le pousse au combat, mais le fouet d’autres esclaves. Ce roi a tâté de la défaite aux mains des Hellènes et elle a offensé sa vanité. Il viendra se venger, non comme un homme digne de respect, mais comme un enfant gâté, indiscipliné, qui pique une rage quand un autre lui prend son jouet. Je crache sur sa couronne. Je me torche le cul sur son trône, qui est un trône d’esclave.
Léonidas souleva le panier.
— Voilà pourquoi ces hommes meilleurs que nous ont donné leur vie ici aujourd’hui et consacré cette terre de leur sang. Voilà l’objet de leur sacrifice, dit-il en tendant le bras vers le golfe, vers Antirhion et Rhion de l’autre côté de la mer. Le jour où le Perse conduira ses multitudes contre nous par ce chenal, il ne trouvera pas la voie libre et des hommes soumis, mais des ennemis unis et implacables. Il trouvera les Alliés hellènes rassemblés pour l’affronter sur les deux rives. Et, s’il choisissait une autre route, si ses espions l’informaient de ce qui l’attend ici et qu’il choisissait un autre site où la terre et la mer nous seraient plus propices, ce serait à cause de ce que nous avons fait aujourd’hui, à cause du sacrifice des frères que nous enterrons ici comme des héros.
» Je n’ai donc pas attendu, poursuivit-il, que les Syracusains et les Antirhioniens nous envoient des messagers pour nous demander, selon la coutume, la permission de récupérer les corps des leurs. Je leur ai envoyé le premier des éclaireurs pour leur offrir la paix, sans rancœur et avec générosité. Que nos nouveaux alliés viennent reprendre les armures de leurs soldats morts, qu’ils viennent reprendre les corps de leurs maris et de leurs fils.
LIVRE TROISIÈME
LE COQ
1
À ce point-ci du récit survint un incident malheureux concernant le Grec Xéon. Pendant qu’on soignait les blessures de celui-ci, un subordonné du chirurgien royal l’informa du sort du cadavre de Léonidas, quand les troupes de Sa Majesté l’avaient retiré de sous les monceaux de victimes après la bataille des Thermopyles. Pour le Grec, c’était un sacrilège, qu’il avait ignoré jusque-là.
Son indignation fut extrême et immédiate. Il refusa dès lors de parler des sujets requis et demanda que ses geôliers, Oronte et les officiers des Immortels, le missent à mort et sur-le-champ. La décapitation et la crucifixion du cadavre de son roi avaient à l’évidence jeté ce Xéon dans un accablement profond. Ni les menaces ni les prières ne parvinrent à l’en arracher.
Il apparut au capitaine Oronte que, si Sa Majesté apprenait le refus
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