Les murailles de feu
lesquels tu te sens visiblement plus à l’aise.
— Je suis à l’aise, madame. Vraiment. C’est un soulagement que d’être loin de la vie des militaires pendant une heure, même si cela implique qu’on danse sur une plaque chaude.
Elle sourit, mais elle avait apparemment un sujet plus grave en tête.
— As-tu jamais entendu le nom d’Idotychide ?
— Oui. C’était un Spartiate mort à la bataille de Mantinée. J’ai vu sa stèle en face du réfectoire de la Victoire Ailée, sur la Voie Amycléenne.
— Que sais-tu d’autre sur cet homme ?
Je bredouillai quelque chose.
— Quoi d’autre ? insista-t-elle.
— On dit que Dekton, cet hilote qu’on surnomme le Coq, serait son bâtard. Et que sa mère serait une Messénienne qui serait morte en couches.
— Et tu le crois ?
— Je le crois, madame.
— Pourquoi ?
J’étais coincé et elle l’avait deviné.
— Est-ce parce que ce garçon, le Coq, déteste autant les Spartiates ? répondit-elle pour moi.
J’étais stupéfait qu’elle le sût et je restai sans voix un moment.
— As-tu remarqué, reprit-elle, sur un ton qui ne reflétait, à ma surprise, ni réprobation ni irritation, que les esclaves les plus bas semblent supporter leur lot sans grande peine, tandis que les plus nobles, ceux qui sont presque des hommes libres, se plaignent le plus amèrement ? C’est comme si ceux qui se sentent le plus dignes de respect souffraient le plus de leur sujétion.
C’était le portrait du Coq en trois mots. Je n’y avais jamais pensé, mais, maintenant que cette femme l’avait dit, je reconnus que c’était vrai.
— Ton ami le Coq parle trop. Et ce qu’il ne dit pas, son attitude l’exprime trop clairement.
Elle répéta, presque mot pour mot, plusieurs des déclarations subversives que Dekton n’avait tenues que devant moi, ou du moins l’avais-je cru, lors de notre retour d’Antirhion. J’étais incapable de parler. La sueur me perlait dans le dos. Aretê demeurait indéchiffrable.
— Sais-tu ce que sont les krypties ? demanda-t-elle.
Je le savais.
— C’est une société secrète des pairs. Personne ne sait qui en sont les membres, sinon qu’ils sont parmi les plus jeunes et les plus forts et qu’ils travaillent la nuit.
— Et quel est leur travail ?
— Ils font disparaître des hommes. Je voulais dire : des hilotes. Des traîtres hilotes.
— Maintenant, réponds-moi et réfléchis avant de parler.
Elle s’interrompit, comme pour souligner l’importance de sa question.
— Si tu étais un membre des krypties et que tu savais ce que je viens de te dire de cet hilote, le Coq, qu’il a exprimé des sentiments hostiles à la cité et qu’il a de surcroît annoncé son intention de les mettre à exécution, qu’est-ce que tu ferais ?
Il n’y avait qu’une réponse possible.
— Ce serait mon devoir de le tuer.
Elle enregistra ma réponse et resta impassible.
— Maintenant, réponds : si tu étais un ami du Coq, qu’est-ce que tu ferais ?
Je bredouillai une réponse sur les circonstances atténuantes, le fait que le Coq était une tête brûlée, qu’il parlait souvent de façon irréfléchie, que ce qu’il disait était de la vantardise et que tout le monde le savait.
Aretê se tourna vers la pénombre de la salle.
— Est-ce que ce garçon ment ? demanda-t-elle.
— Oui, mère !
Je fus stupéfait. Les deux filles aînées étaient parfaitement éveillées dans leur lit et elles n’avaient pas perdu un mot.
— Je vais répondre à la question pour toi, jeune homme, dit Aretê pour me tirer de mon embarras. Je crois que tu ferais ceci : tu avertirais le Coq de ne plus tenir de pareils propos et de n’entreprendre aucun des actes annoncés, sans quoi tu le tuerais toi-même.
J’étais penaud. Aretê sourit.
— Tu es un piètre menteur. Tu ne sais pas mentir. J’apprécie cela. Mais tu foules un terrain dangereux. Sparte est peut-être la plus grande ville de l’Hellade, mais c’est une petite ville. Une souris ne peut pas éternuer sans que tous les chats disent « À tes souhaits ! » Les domestiques et les hilotes entendent tout et on leur délie la langue pour le prix d’une galette de miel.
J’y réfléchis.
— Et le prix de la mienne sera donc un bol de vin ? demandai-je.
— Ce garçon te manque de respect, mère ! intervint Alexa, qui avait neuf ans. Tu dois le faire fouetter !
À mon soulagement, Aretê m’examina calmement
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