Les murailles de feu
ont pris ton arc, n’est-ce pas ? Ils l’ont confisqué dès que tu es arrivé à Lacédémone.
Elle déclara ensuite que c’était la chance qui m’avait conduit chez elle ce soir-là, car, en effet, les divinités de la terre hantaient les parages, nombreuses et denses. Elle pouvait les sentir autour d’elle. Les hommes pensaient avec leurs esprits, dit-elle, et les femmes avec leur sang, qui suit les marées et coule sous l’influence de la lune.
— Je ne suis pas une prêtresse. Je ne peux répondre qu’avec mon cœur de femme, qui discerne la vérité de l’intérieur, par intuition.
— C’était, dis-je, précisément ce que je voulais.
— Dis ceci à ton ami. Ce qu’il a vu est la vérité. Ce qu’il a vu était, en effet, un dieu.
Et les larmes me jaillirent spontanément. L’émotion me subjugua. Je sanglotai, mortifié par la perte de contrôle de moi-même, étonné par la puissance de la passion qui semblait surgie de nulle part et qui m’envahissait. Je me cachai le visage dans les mains et je pleurai comme un enfant. Aretê s’avança vers moi et me mit la main sur l’épaule comme une mère afin de me consoler. Quand je me fus repris, je la priai de pardonner cette honteuse défaillance. Mais elle ne l’entendit pas ainsi ; elle me réprimanda, car cette passion était sacrée, elle me venait du ciel et il ne fallait ni s’en repentir, ni demander d’en être excusé.
Aretê se tenait sur le seuil de la porte ouverte, par laquelle la clarté des étoiles et le murmure du ruisselet dans la cour nous parvenaient.
— Je voudrais avoir connu ta mère, me dit-elle en me considérant avec bienveillance. Peut-être nous rencontrerons-nous un jour elle et moi, au-delà de la rivière. Nous parlerons de son fils et du pain dur que les dieux lui ont servi.
Une main sur mon épaule me signifia de m’en aller.
— Va, dis à ton ami qu’il peut revenir avec ses questions, s’il le veut. Mais, la prochaine fois, il devra venir en personne. Je veux voir le visage de ce garçon qui a bavardé avec le fils des cieux.
3
Alexandros et moi fûmes fouettés le lendemain soir pour l’escapade à Antirhion. Le fouet lui fut administré par son père Olympias devant les pairs de son réfectoire. Quant à moi, je fus fouetté dans les champs sans cérémonie par un fantassin hilote. Le Coq m’aida à descendre la nuit vers un bosquet qu’on appelait l’Enclume, près de l’Eurotas, pour laver et panser mes plaies. C’était un lieu consacré à la Déméter des Champs ; la coutume le réservait aux hilotes messéniens. Son nom dérivait du fait qu’il y avait eu là jadis un forgeron.
Heureusement, le Coq ne m’accabla pas de ses harangues habituelles sur la vie d’esclave, mais limita sa diatribe au fait qu’Alexandros avait été fouetté comme un garçon et moi, comme un chien. Il se montra attentionné et, ce qui valait mieux, fut expert dans le nettoyage et le pansement de cette variété unique de lacération que causent les branches noueuses de bouleau sur le dos.
Il fallait d’abord laver abondamment les plaies, en s’immergeant jusqu’au cou dans l’eau glacée. Le Coq me soutenait de l’arrière, par les aisselles, car le choc de l’eau ne manquait guère d’étourdir. Mais le froid calme promptement la douleur et des compresses d’ortie bouillie et d’herbe de Nessos deviennent alors supportables. Cela arrête les saignements et favorise la cicatrisation. Un pansement de laine ou de lin à ce stade-là serait insupportable, même appliqué avec une délicatesse exquise. Mais la pression d’une paume amie, imprimée d’abord avec douceur, puis avec plus de force sur la chair palpitante procure un plaisir proche de l’extase. Le Coq avait subi sa part de coups de fouet et connaissait son affaire.
En cinq minutes, je pus me tenir debout et en quinze, supporter la mousse médicinale que le Coq pressa sur les chairs enflammées pour en absorber le poison et les imprégner de leur anesthésique subtil.
— Par les dieux, s’écria-t-il, il ne reste plus une vierge ! signifiant par là qu’il ne restait plus un morceau de peau intact, ni une cicatrice ancienne qui ne fussent lacérés plusieurs fois de suite. Tu ne pourras pas porter le bouclier de ce chanteur d’hymnes pendant un bon mois.
Il allait se lancer dans une autre vitupération hargneuse de mon maître-garçon, quand nous entendîmes un froissement de branches sur la rive au-dessus de
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