Les murailles de feu
attendait dans l’ombre, assise sur une chaise de vannerie.
Je fus mené vers une vasque de pierre et prié de me laver les pieds et les mains. Plusieurs linges pendaient sur une barre ; je m’essuyai et étendis soigneusement le linge. Mon cœur battait fort, bien que je ne pusse pas savoir pourquoi. Eleiria m’introduisit dans la salle où se trouvait l’âtre. Les quatre filles de Dienekès étaient présentes, l’une encore dans sa prime enfance et endormie, et l’autre nouveau-née. Eleiria se joignit à la puînée, Alexa, et toutes deux se mirent à carder de la laine, comme si c’était chose naturelle au milieu de la nuit. Aretê, assise, allaitait son enfant sur un tabouret de bois près de l’âtre.
Je compris rapidement que ce n’était pas à l’épouse de Dienekès que j’allais m’adresser, mais à Paraleia, mère d’Alexandros et femme du polémarque Olympias, qui se tenait au centre de la pièce. Sans autre préambule, en effet, elle m’interrogea sur l’épreuve que son fils avait subie moins d’une demi-heure plus tôt au réfectoire. Il était déjà surprenant qu’elle en eût été informée si vite. Quelque chose dans ses yeux m’avertit alors que je ferais mieux de choisir mes mots avec circonspection.
Paraleia déclara qu’elle était parfaitement informée des règles du silence qui commandaient les propos tenus dans l’enceinte du réfectoire. Néanmoins, soutint-elle, je pouvais, sans violer la sainteté de la loi et en m’en remettant à la discrétion de cette femme, lui fournir quelques indications sur la teneur et le ton de l’épreuve en question, sinon rapporter exactement les propos et les gestes. Car, on le comprenait aisément, elle était soucieuse du bien-être et de l’avenir de son fils.
Elle demanda, dans ce même registre et avec les mêmes sous-entendus, qui selon moi gouvernait la cité.
— Le roi et les éphores, répondis-je spontanément, ainsi que les lois, évidemment.
Elle sourit alors et lança un regard à Aretê.
— Oui, dit-elle, il en est sûrement ainsi.
C’était sa façon de laisser entendre que c’étaient en réalité les femmes qui menaient les affaires et que, si je ne voulais pas me retrouver définitivement voué aux travaux des champs, je ferais bien de fournir une dose satisfaisante d’informations. En dix minutes, elle apprit donc tout ce qu’elle voulait savoir. J’avais tout raconté.
Elle désira ensuite connaître tout ce que son fils avait fait dans les heures où il avait enfreint ses volontés, dans le bosquet des Jumeaux, lorsqu’il était parti à la poursuite de l’armée à Antirhion. Elle me questionna comme si j’étais un espion. Aretê ne l’interrompit pas ; les aînées des filles ne levèrent pas une seule fois les yeux vers moi ni vers Paraleia, ce qui n’empêche qu’elles écoutèrent chaque mot ; c’était ainsi qu’elles étaient instruites ; la leçon aujourd’hui consistait à apprendre comment on interrogeait un employé. Comment une femme le faisait, le ton qu’elle prenait, les questions qu’elle posait et la façon dont elle modulait sa voix, l’élevant pour suggérer une menace et l’adoucissant pour revêtir les accents de la candeur.
Quelles rations Alexandros et moi avions donc emportées ? Quelles armes ? Quand nous nous étions trouvés à court de vivres, comment avions-nous fait pour nous en procurer ? Comment son fils s’était-il comporté ? Comment les étrangers réagissaient-ils ? Lui témoignaient-ils le respect dû à un Spartiate ? Et l’attitude de son fils imposait-elle ce respect ?
La femme m’écoutait sans rien révéler de ses pensées, bien qu’il devînt évident à certains moments qu’elle désapprouvait la conduite de son fils. Elle ne s’autorisa qu’une seule fois à laisser transparaître de la colère, et ce fut quand j’avouai qu’Alexandros n’avait pas demandé le nom du capitaine qui nous avait emmenés pour la traversée et qui nous avait trahis. Sa voix vibra alors : qu’avait donc ce garçon ? Et qu’avait-il appris toutes ces années à la table de son père et au réfectoire ? N’avait-il pas vu que ce reptile, ce capitaine pêcheur, devait être puni et si besoin en était, mis à mort pour lui apprendre le prix de sa perfidie envers le fils d’un pair de Lacédémone ? N’avait-il pas compris, s’il fallait être prudent, que ce capitaine pouvait être utilisé ? Que, si les Perses arrivaient,
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