Les murailles de feu
paierez ses droits. Il recevra un nom pour l’entraînement et ce nom sera Idotychide.
C’en fut trop pour les pairs.
— Tu déshonores ton mari et la mémoire de ton frère rien que par cette proposition, déclara le boxeur Actéon.
— Si l’enfant était de mon mari, ma proposition serait-elle acceptée ?
— Mais il n’est pas de ton mari.
— Et s’il l’était ?
Médon intervint.
— Cette femme sait très bien que, si un homme tel que ce jeune homme, le Coq, est accusé de trahison et exécuté, sa descendance mâle peut être mise à mort, parce que, s’ils possèdent le moindre sens de l’honneur, ses enfants mâles chercheront à se venger quand ils seront d’âge. Ce n’est pas seulement là la loi de Lycurgue, mais celle de toutes les cités de l’Hellade et elle vaut pour tout le monde et même les Barbares.
— Si vous croyez cela, alors tranchez tout de suite le cou de cet enfant.
Aretê s’avança vers Polynice. Avant que celui-ci eût pu réagir, elle lui saisit l’épée à la hanche et la tira du fourreau. Tenant le pommeau d’une main ferme, elle mit l’arme dans la main de Polynice et souleva l’enfant, exposant son cou à la lame aiguisée.
— Honorez la loi, fils d’Héraklès. Mais faites-le ici, devant tous, et non dans l’obscurité si chère aux krypties.
Polynice se figea. Il essaya d’écarter la lame, mais Aretê gardait fermement prise sur le pommeau.
— Tu ne peux pas le faire ? siffla-t-elle. Laisse-moi t’aider. Voilà, je plongerai la lame avec toi…
Une douzaine de voix s’élevèrent pour implorer Aretê de surseoir. Harmonia ne parvenait pas à contrôler ses sanglots. Le Coq regardait la scène, paralysé d’horreur. La sauvagerie qu’exprimait Aretê impressionna même Médon.
— Demandez à mon mari si c’est son fils, ordonna-t-elle. Demandez-lui !
Des murmures de protestation s’élevèrent. Mais quel autre choix avaient donc les pairs ? Les regards se tournèrent vers Dienekès, non tant pour lui demander de répondre à cette accusation ridicule que parce qu’ils étaient saisis par la témérité de la femme qui les défiait et qu’ils ne savaient quel parti prendre.
— Dis-leur, mon mari, déclara Aretê d’une voix égale. Devant les dieux. Est-ce que cet enfant est à toi ?
Elle desserra sa prise sur la lame et, éloignant le bébé de l’épée de Polynice, elle le tendit à son mari.
Les pairs savaient que les allégations de cette femme étaient fausses. Mais si Dienekès les confirmait sous serment, comme elle le demandait, ils devraient tous, et avec eux la cité entière, les accepter, ou bien Dienekès serait déshonoré. Il le comprit aussi. Il regarda sa femme dans les yeux pendant un long moment et elle soutint ce regard que Médon avait comparé à celui d’une lionne.
— Par tous les dieux, jura Dienekès, cet enfant est le mien.
Les larmes perlèrent dans les yeux d’Aretê, mais elle se ressaisit. Les pairs murmurèrent ; c’était là un outrage au serment.
— Songe à ce que tu dis, Dienekès, déclara Médon. Tu déshonores ta femme en avançant cette vérité, et tu te déshonores en faisant un faux serment.
— J’y ai songé, mon ami, répondit Dienekès, et il affirma derechef que l’enfant était le sien.
— Prends-le donc, commanda Aretê, faisant un dernier pas vers son mari et plaçant avec douceur l’enfant dans ses bras.
Dienekès reçut le petit fardeau comme si on lui avait tendu un nœud de vipères. Il plongea de nouveau son regard dans les yeux de sa femme et s’adressa aux pairs.
— Lesquels d’entre vous, amis et camarades, seront les tuteurs de mon fils et l’enrôleront devant les éphores ?
Personne ne pipa mot ; c’était un serment terrible que celui qu’avait prononcé leur frère d’armes ; s’ils se rangeaient à ses côtés, seraient-ils parjures eux aussi ?
— Ce sera mon privilège de me déclarer pour lui, dit Médon. Nous le présenterons demain et son nom sera, comme le désire cette femme, celui de son frère Idotychide.
Harmonia pleura encore, mais de soulagement. Le Coq jeta sur l’assemblée un regard inondé de rage.
— C’est donc réglé, dit Aretê. L’enfant sera élevé par sa mère à l’intérieur des murs de la maison de mon mari. À sept ans, il sera inscrit comme mothax et il sera entraîné à l’égal de tous les garçons nés d’un citoyen. Si sa vertu et sa discipline s’en montrent
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