Les murailles de feu
maintenant.
Le Coq me lança un regard ; toute sa personne exprimait la confusion. Il était ému par l’honnêteté d’Alexandros, qui sollicitait son cœur et même l’incitait à se rendre. Il se ressaisit pour mettre fin à l’enchantement.
— Mais tu ne m’influenceras pas, Alexandros. Que les Perses viennent. Qu’ils réduisent Lacédémone en poussière. Je danserai sur ses tombes.
Harmonia retint un cri. Des torches flambaient à l’extérieur. Des ombres entouraient la hutte. La portière qui faisait office de porte fut arrachée. Sur le seuil grossier se tenaient Polynice armé et quatre assassins des krypties. Ils étaient tous jeunes, des athlètes de niveau olympique, et durs comme le fer.
Ils pénétrèrent et ligotèrent le Coq. Le bébé cria dans les bras d’Harmonia ; la malheureuse avait à peine dix-sept ans ; elle tremblait et serrait sa fillette contre elle. Polynice considéra la scène d’un air méprisant. Son regard nous balaya, le Coq, sa femme, ses enfants et moi et s’arrêta avec dédain sur Alexandros.
— J’aurais dû savoir que je te trouverais ici, lui dit-il.
— Et moi, que je te trouverais ici aussi, répondit Alexandros, le visage empreint de sa haine des krypties.
Polynice regarda Alexandros, d’un air outragé.
— Ta présence dans ces lieux constitue une trahison. Tu le sais et ils le savent. Par respect pour ton père, je ne te dirai que ceci : pars sur-le-champ. Pars tout de suite et rien ne sera rapporté. À l’aube, on ne trouvera que quatre hilotes manquants.
— Je ne partirai pas, répondit Alexandros.
— Tue-nous tout de suite, alors ! cracha le Coq. Montre-nous ton courage, Spartiate, espèce de couard nocturne !
Un coup de poing dans les dents le réduisit au silence.
Je vis qu’on saisissait Alexandros et je sentis qu’on s’emparait de moi. On me serra les poignets dans des lanières de cuir et l’on me bâillonna. Les krypties s’emparèrent aussi d’Harmonia et de ses enfants.
— Amenez-les tous ! ordonna Polynice.
3
Il y avait un bosquet au sommet de la colline, derrière le réfectoire Deucalion, où les chasseurs se retrouvaient, suivis de leurs meutes avant la chasse. En quelques minutes, un tribunal-croupion s’y assembla.
Le site est lugubre. Des chenils rudimentaires s’étendent sous les arbres, avec des filets pour le gibier et des harnais qui pendent sous les trous des mangeoires pour les oiseaux. Les cuisiniers des réfectoires y entreposent leur matériel de boucherie dans des pavillons verrouillés. À l’intérieur pendent des haches et des couteaux à émincer, des hachoirs, des fendoirs, des masses à casser les os ; un billot noir de sang pour le gibier à plume et la volaille est fixé au mur ; c’est là qu’on coupe les têtes des oiseaux, qu’on jette ensuite aux chiens. Des monceaux de plumes détrempés de sang s’y entassent jusqu’aux mollets. Au-dessus se dressent les étals de boucherie avec leurs crochets pour pendre, éviscérer et saigner le gibier à poil.
Il semblait évident que le Coq devait mourir, et son fils avec lui. Ce qui restait à discuter était la trahison d’Alexandros ; si on l’apprenait en ville, elle serait extrêmement dommageable dans ces circonstances critiques, non seulement pour lui-même et son statut de guerrier frais émoulu, mais aussi pour le prestige de tout son clan, pour sa femme Agathe, pour sa mère Paraleia, pour son père le polémarque Olympias et en fin de compte, et ce n’était pas là le plus négligeable, pour son mentor Dienekès. Ces deux derniers prirent place dans l’ombre, aux côtés des seize autres pairs du réfectoire Deucalion. La femme du Coq pleurait silencieusement, sa fille à ses côtés et son bébé dans ses bras. Le Coq, toujours ligoté, était agenouillé dans la poussière de l’été.
Polynice faisait les cent pas, attendant une décision avec impatience.
— Puis-je parler ? demanda le Coq d’une voix rauque, car il avait été à moitié étranglé pendant le trajet vers ce tribunal sommaire.
— Qu’est-ce qu’un traître comme toi a à dire ? rétorqua Polynice.
Le Coq indiqua Alexandros du menton.
— Cet homme que tes tueurs croient avoir capturé… Ils devraient proclamer qu’il est un héros. Ce sont lui et Xéon qui m’ont fait prisonnier. C’est pourquoi ils étaient dans ma hutte. Pour m’arrêter et me déférer ici.
— Bien sûr, répliqua Polynice d’un ton
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