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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’ennemi douze légions d’anges pour le réduire en poussière, mais les combattants de la Foi feraient mieux… Et l’on vit Louis VIII se croiser, puis Louis IX… Tous ceux qui les suivirent ne connurent que trépas et déceptions !… Tiens, prends ce pain… cette saucisse…
    — Messire, dit Ogier en mordant dans le pain, ce que vous dites est vrai. Mais la terre de Jésus…
    Un geste du vieillard l’interrompit :
    — L’amour du sang plus que l’amour de Dieu, le goût effréné des richesses, voilà les premières raisons des déconvenues de tes chrétiens en Palestine… Et si j’en reviens maintenant aux hommes du Temple, c’est que leur vocation était de veiller sur la sécurité des pèlerins et des Francs établis en cette contrée… Nullement de guerroyer… Cette terre, il eût été possible d’y vivre dans une douceur dont tu ne peux avoir idée !
    — Pourquoi en parlez-vous avec autant d’émoi et d’exécration ?
    Insensible à cette interruption, le mire poursuivit :
    — La perte de la Palestine fut amorcée quand des malandrins sanguinaires tels que Rideford, Guy de Lusignan, Renaud de Châtillon, et des putes comme Sibylle, la sœur du malheureux Baudouin… et des prêtres à l’âme putride comme Héraclius, patriarche de Jérusalem, régnèrent sur les gens d’armes et le peuple. L’argent coulait à flots pour des fêtes somptueuses tandis que les murs de la cité tombaient en ruine sans que ces Grands n’en eussent cure… Et les chrétiens pouvaient aller guerroyer les Mahomets derrière les évêques et les chevaliers alternativement porteurs de la Vraie Croix, l’issue des batailles n’en était pas pour autant assurée !… Tu as lu et ton chapelain t’a conté qu’avant certains assauts, l’ombre des traverses du Saint-Bois grandissait pour s’étendre au-dessus de l’ennemi et l’effrayer… Mange donc ! Cesse de béer d’étonnement… et sache bien que cette Croix, pas plus que celle que nous portions sur notre cœur et notre écu, n’a jamais commis un seul miracle !
    Le vieillard eut un rire bref, fielleux, dont Ogier n’osa s’offenser bien que sa stupéfaction fût extrême. La Vraie Croix ! Rien au monde ne pouvait exister de plus vénérable. Outre que les chrétiens de Terre Sainte l’avaient perdue, il l’entendait tourner en dérision !
    — Elle était bonne à tout, reprit le mire en jetant dans l’herbe une peau de saucisson. Tiens : en 1140, Baudouin II de Constantinople l’engagea comme garantie d’une somme empruntée aux Templiers de Syrie… Tu vois : on nous a accusés d’être hérétiques, apostats… tout ce que l’on voulut pour nous déprécier… Or, cette Croix, mes devanciers au Temple la restituèrent… Ils auraient pu en faire une bonne flambée !
    — Messire ! Ne vous montrez pas pis qu’un Maure !
    Ogier n’avait plus faim, soudain. Il but et fut tenté de recracher le vin, tant sa gorge était serrée.
    — Argouges !… Bon sang ! je te croyais plus de solidité… La valeur de cette croix te paraît inestimable ?
    — Oui, messire.
    — Te séparerais-tu d’un objet sans prix ?
    — Jamais.
    — Les chrétiens de Palestine, vois-tu, ne possédaient ni ta foi ni ton intégrité d’esprit !
    Que répondre ? Rien. Il fallait laisser parler ce vieillard en quelque sorte impitoyable. Les quinze lieues parcourues, l’émoi de se retrouver en des lieux aimés, l’âge enfin, eussent pu lui donner l’aspect d’un valétudinaire ; or, à mesure qu’il s’exprimait, son visage et son corps prenaient une vigueur singulière.
    — Je t’ai parlé de la bataille de Casal Robert. En mars de la même année, pendant que Saladin assiégeait Renaud de Châtillon dans Carac, son fils Aphdal passa le Jourdain et fondit sur la Galilée. Les Hospitaliers et les Templiers accoururent, commandés par Rideford assisté de Jacques de Maillé, maréchal du Temple. C’était un preux. Voyant la supériorité de l’ennemi, il tenta de dissuader le Grand Maître de se lancer dans un engagement dont les conséquences seraient funestes ; Rideford lui dit, méprisant, qu’il tenait trop à sa chère tête blonde qu’il la voulait si bien garder ; à quoi Maillé répondit : «  Je vais me faire occire comme un chevalier, et c’est vous qui lâcherez pied ! » Et la bataille eut lieu ; une folie qui fut fatale aux chrétiens, fatale à Maillé qui se battit si bellement que les

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