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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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enflammaient des feuilles et des brindilles.
    — Vois-tu, Ogier, jamais les royaumes d’Occident n’auraient dû perdre la Palestine, mais il faut en convenir : quand les Francs, les Poulains [80] et leurs alliés y subirent leurs ultimes épreuves, ils étaient devenus indignes de vivre là plus longtemps. Ce grand domaine acquis au prix du sang trop souvent innocent et divisé en seigneuries d’une arrogance crasse, était devenu un champ de discordes et d’excès dont les Mahomets, qui avaient toujours su en profiter, n’eurent aucune peine à détruire l’hypocrite magnificence. Je ne te conterai pas cette histoire : pendant les mois où tu vécus chez moi, impotent, tu l’as lue dans les livres auxquels je t’avais permis d’accéder…
    — Quatre, sur la centaine que vous possédez. Le sire de Joinville les aurait détestés tant les Mahomets y sont bien traités !
    — Traités avec équité… Les frères Templiers qui vécurent là-bas et se succédèrent à écrire cette histoire n’ont rapporté dedans que des vérités.
    — Ces ouvrages, messire, d’où viennent-ils ?
    Ogier s’attendait à une réponse évasive ; il n’en fut rien :
    — Tu dois penser que si quelqu’un mettait vraiment son nez dans ma librairie, ce qu’il y trouverait m’enverrait à l’échafaud… Mais qui lirait ici le grec et le latin ? Qui lirait l’hébreu sinon un Juif ?… Il y a le Manuel de l’Inquisiteur du dominicain Bernard Gui , les œuvres de Flavius Josèphe, le Tacite et le Suétone complets, eux aussi ; les évangiles de Jacques, Nicodème et Thomas… d’autres encore… Comment les ai-je rassemblés ? Je les ai amenés de Paris. Comment j’ai vécu avant d’exercer la médecine ? Je te le dirai… Pourquoi ai-je tant d’écus ? Parce que je les ai trouvés aux abords des commanderies du Poitou et d’ailleurs, en des lieux où moi seul pouvais les découvrir… Oui, j’ai sauvé de la profanation et sans doute des flammes ce qui méritait d’être sauvé d’un Ordre dont j’ai toujours la vénération. Ces livres, qui auraient dû en rejoindre d’autres en une secrète chapelle, périront avec moi, car tu penses bien que l’Église les trouverait impurs… Quelques personnes les ont vus, mais aucune ne connaissait le copte, le thébain, le syriaque, la langue éthiopienne…
    Le vieillard arracha un brin d’herbe et se mit à le sucer. Ogier regarda ses mains blanches, osseuses, expertes à soigner, à guérir. Elles avaient très volontiers donné la mort.
    — Vois-tu, si l’Ordre a eu de bons et grands maîtres, quelques autres jetèrent sur lui, à juste raison, le dédain et la suspicion. Le pire fut Gérard de Rideford. D’octobre 1184 à octobre 1189, cet homme commit des fautes sanglantes par fol orgueil. Né en Flandre, à ce qu’on prétend, il était devenu Grand Maître à force de détours indignes. En 1188, après la mort de Baudouin le Lépreux, souverain de Jérusalem, il avait aidé Guy de Lusignan, tout aussi pervers que lui, à monter sur le trône en épousant Sibylle la Putain [81] … Contrevenant à la Règle du Temple, il assaillit des Mahomets paisibles, provoquant la bataille de Casal Robert, le 1 er  mai 1187. S’il échappa à la mort en fuyant, le Maître des Hospitaliers fut occis, ce qui aggrava l’aversion de cet Ordre jaloux et ambitieux envers le Temple… Qui sait si notre procès n’a pas commencé ce jour-là !
    Plantamor et Marchegai s’approchaient, les naseaux enfouis dans l’herbe. À eux seuls, ils dégageaient une sorte de bonace légère, en accord avec ce pays verdoyant, vide et silencieux, car les oiseaux s’étaient tus.
    — Pèlerinages et croisades avaient commencé dans la haine avant même que nous eussions connu les Mahomets… Je dis nous car tous les peuples du Ponant les exécrèrent du seul fait qu’ils vivaient dans ce qu’on appelle encore les saints lieux.
    Ogier perçut, dans ces deux derniers mots, un mépris sans équivoque. « Sur quelle pente veut-il m’entraîner ? » se dit-il.
    — Saint Bernard, abbé de Clairvaux, avait donné le ton en prêchant à Vézelay : «  Volez aux armes ! Qu’une sainte colère vous anime au combat et que le monde chrétien retentisse des paroles du prophète : “Malheur à celui qui n’ensanglante pas son épée !”  » Autant te dire que ses exhortations furent suivies !… Il ne tiendrait qu’à Dieu, clamait-il, d’envoyer au-devant de

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