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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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des marteaux ont frappé l’autel sur le devant ; il n’en subsiste que creux et bosses alors qu’autrefois, entre autres choses, on y voyait la devise du Temple : Non nobis Domine, sed nomini tuo da gloriam…
    —  Non pour nous, Seigneur, mais pour que ton nom en ait la gloire…
    — Hé oui !… Penche-toi et regarde bien ces gravures.
    Appuyé sur son épée, Ogier vit que le flanc de l’autel était constitué d’une dalle de pierre d’environ trois pieds de long et de deux de large, prolongée à sa base gauche d’un rectangle plus petit – la moitié de l’autre –, le tout taillé dans un même bloc [75] . Un tore et une bordure plate ornaient le haut et les largeurs du grand rectangle dont la base n’était soulignée que d’un chanfrein. Sur le rectangle adjacent figuraient deux petites arcades géminées, séparées par un étroit pilastre. Sous celle de droite, un Christ vêtu d’une robe à manches longues et tombantes, les bras tendus perpendiculairement au corps, paraissait bénir ou accueillir deux anges ou deux enfants agenouillés ; sous l’autre voûte, Ogier reconnut un guerrier d’antan, vêtu du haubert et du heaume conique, à cheval et la lance au poing [76] .
    — Est-ce un Templier, messire ?
    — C’en est un… Que vois-tu encore ?
    Le regard du garçon se heurta à celui de Benoît Sirvin, attentif.
    — Le chevalier et son destrier ne vont pas vers le Christ. Ils lui tournent le dos… De plus, le Christ est sans croix.
    Il parut à Ogier que le silence s’était accru ainsi que l’odeur des plantes mutilées dont il piétinait les rameaux et les tiges. Toute la sérénité de ces vieux murs blessés, toute la force paisible des arbres, alentour, semblaient soudain le pénétrer, mais plutôt que de se sentir revigoré, il s’engourdissait sans possibilité de dominer ce trouble.
    — Vois-tu, dans l’absence de deux pièces de bois, un sacrilège ?
    — Non, messire. Le geste montre bien que cet homme est Jésus.
    — Lequel ?
    Cette question ébranla Ogier plus qu’un coup de poing. Suffoquant et tremblant, il se ressaisit :
    — Messire, on a dit que les Templiers avaient renié Jésus… Et vous, vous me demandez lequel !
    —  Hé oui !… Est-ce le Zélote ou, si tu préfères, le Juif guerrier qui mourut crucifié ou l’autre, son jumeau, qui lui succéda ?
    — Est-ce pour ouïr vos blasphèmes que vous m’avez fait couvrir quinze lieues ? J’ai fort envie de remonter sur Marchegai et de vous abandonner là…
    — Tu ne tiendrais pas ton serment.
    — Je n’y suis pas tenu envers un sacrilège !
    Pour énorme et justifiée qu’elle fût, l’indignation qui l’avait soudainement enfiévré parut misérable et vaine à Ogier. Le regard dont il se sentait enveloppé le rapetissait tandis que des formules de déprécation lui venaient à l’esprit sans qu’il pût se les remémorer dans leur intégrité pourtant simple et confortante. Cet homme qu’il respectait l’avait-il emmené à Montgaugier pour l’entraîner dans une espèce de vertige où sa foi serait mise à l’épreuve ? Il tourna le dos à l’autel. Piètre remède : les deux gravures demeuraient fixées dans sa mémoire. Qu’attendre maintenant de ce vieillard ? À quelle ignoble glu cet oiseleur plus secret que jamais voulait-il l’attraper ?
    — Viens, Argouges. J’ai voulu revoir et te montrer cette pierre… Pour que la fin de ma vie soit convenable, il me fallait revenir en ces lieux… Et pour t’entretenir du service que tu as consenti à me rendre, j’avais besoin d’un commencement tangible. Il ne subsiste rien de nous, Templiers de Montgaugier, que ces figures sur cet autel. Elles offensent ta foi plus encore que ta vue… Or, s’il t’advient, un jour, de passer par Eunate, sur le chemin de Pampelune à Estella, près de Puente de la Reina, les frères du Temple t’ouvriront leur commanderie. Tu pourras voir sur un des chapiteaux de l’entrée un Jésus décrucifié… Preuve que la vérité est inscrite partout…
    — Quelle vérité ?
    — Le temps nous est compté, aussi ne t’en dirai-je que l’essentiel… Non pour tenter de t’éblouir ou de t’accabler, mais parce que j’y serai contraint… Viens, sortons : tu n’es plus à l’aise en cette chapelle… M’en veux-tu grandement ?
    — Je ne sais, dit Ogier, maussade.
    Il était trop reconnaissant à cet homme pour entamer le procès de son Ordre.

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