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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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D’autres s’en étaient chargés ! Il se sentait sain et ardent dans sa foi, capable de résister aux pestilences infernales. Ce mire était pour lui plus près de Dieu que de Satan : jamais, sans quoi, il ne l’eût guéri de sa jambe rouée.
    Ils quittèrent le bâtiment. Aveuglé par les rouges lueurs du couchant, Ogier crut pourtant voir bouger une ombre derrière un buisson. Un homme ? Impossible : Marchegai eût henni, or, il broutait quiètement l’herbe courbe, argentée par un vent léger. Assez loin, Plantamor reprenait haleine. Il avait les oreilles chauvies.
    — Nous allons à nouveau rompre le pain et manger… Nous dormirons à l’abri de ce muret… La brise seule pourra ouïr mes propos…
    La main lourde du vieillard crochetée sur son épaule, Ogier se laissa mener à travers champ jusqu’à un reste de muraille, à l’ombre de deux ormes.
    — Tu te dis que je marche en ces lieux comme quelqu’un d’accoutumé à y vivre… C’est vrai… Pendant que je m’assieds sur ces pierres, va chercher les bissacs, les gourdes et les couvertures… Ensuite, nous ne bougerons plus de longtemps.
    En revenant, chargé comme un sommier, Ogier eut le sentiment que cette fin de journée serait pour lui fertile en déconvenues. Un frisson courut sur son échine, et pourtant, il faisait chaud. Il posa les bissacs et les couvertures aux pieds du mire. Ils avalèrent, chacun, quelques gorgées de vin, et comme le profane fermait les yeux pour échapper à la vieille figure impérieuse tournée vers lui, sa mémoire lui restitua la pierre grise, le Christ sans croix et le chevalier fuyant le Rédempteur.
    — Il y a soixante-dix-sept ans, Ogier, Martin de Montrichard fut reçu chevalier en cette chapelle où ne subsiste de l’heureux temps que ce simple ornement dont les herbes assuraient la protection… Regnault Bertrand en était commandeur ; il l’était encore en 1284… Le 17 décembre de cette année-là, il fit une transaction avec Thibaud de Bosmez, varlet [77] , seigneur de Mirebeau et de Blazon, par laquelle toute la haute, moyenne et basse justices demeureraient aux frères de la commanderie sur l’hébergement de Montgaugier et appartenances, sur toutes les maisons de la cité de Maisonneuve et l’hébergement de la lande de Craon… Ce jour-là, j’accompagnais mon oncle, Thibaud de Bosmez, tu l’as deviné, et je revins céans juste six années plus tard, en 1290, solliciter de Regnault Bertrand l’honneur d’être reçu dans l’Ordre…
    — Vous êtes donc né de mariage légitime entre noble dame et chevalier, pour avoir été reçu frère-chevalier du Temple…
    — Non. Les retraits [78] prévoyaient diverses exceptions : si le père de l’impétrant était chevalier ou même avait vécu comme tel, son fils pouvait recevoir le blanc manteau, car c’était surtout la qualité d’homme que recherchait l’Ordre, bien plus que son estoc [79] et celui de sa famille. Or, j’étais fils de chevalier et de servante… Fils engendré après le veuvage de mon père dont le mariage avait été stérile… Je fus reçu dans l’Ordre et touchai la Terre Sainte – comme tu dis –, juste pour participer à la bataille d’Acre, d’avril à mai 1291 ; la dernière bataille contre Kabid-Ashraf et ses démons. Je ne t’en dirai rien sinon qu’il y avait, chez les chrétiens, des Chypriotes, des combattants de Saint-Jean, Saint-Thomas, Saint-Lazare, les chevaliers de l’Épée, de Saint-Laurent, de Saint-Martin-des-Bretons, du Saint-Esprit, le Temple et les Teutoniques… Et si je te dis ceci, c’est pour que tu saches que j’ai fait mon devoir de chrétien.
    — Vous en avez réchappé… Tant mieux !
    Le vieillard fut insensible à ce cri du cœur ; il soupira :
    — Tu sais quelles douleurs c’est pour le corps et l’esprit d’être vaincu… J’allai à Chypre à la suite de Thibaud Gaudin, Grand Commandeur de l’Ordre, puisque Guillaume de Beaujeu, notre Grand Maître, avait péri dans cette boucherie où les femmes et les enfants ne furent pas épargnés…
    — Votre vrai nom, messire, quel est-il ?
    — Benoît de La Ferrière… Sirvin est le nom de ma mère…
    Les chevaux paissaient, dressant parfois la tête pour humer le vent. L’endroit semblait à tout jamais soustrait aux forcenneries des hommes, aux rigueurs des gels, des orages, et Blandine en eût goûté la sérénité. Les ultimes feux du soleil, en touchant les haies en friche, y

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