Les noces de fer
admirer avant que d’espérer la séduire. Du moins l’avait-il cru. Son amour, leur amour ouvrait son âme aux délices de toute sorte ; et lui qui déjà les aimait, voilà qu’il se sentait plus proche encore des arbres, des ruisseaux et des rivières ; plus près du ciel donc plus dépendant de ce Dieu dont Sirvin lui-même affirmait l’existence. Plus tendre d’esprit, sans que ses muscles se fussent amollis pour autant. Et cependant il avait peur. Peur, surtout, que Blandine trouvât Gratot, sa famille et la domesticité trop rustiques. Il y avait en lui, brûlant comme un brandon, une sorte d’avidité, d’ivresse de bonheur ; une exigence d’amour continuel plus forte, sans doute, que dans les livres ; une passion de réussir sa vie qui frongniait dans son corps avec la fureur d’un faucon capturé à la haie, et qui bat furieusement des ailes… Et Blandine ? Pouvait-il évoquer maintenant le chatouillement d’une toison secrète, la douceur de cette chair plus secrète encore, ferme et molle à la fois ; les doux vallonnements, les sentes odorantes…
Il regarda ses mains. Pas plus que son esprit, elles n’oubliaient les délicieux contours de ce corps ; il en forma une en coupe comme s’il allait empaumer ce sein sous lequel battait un cœur épris de lui, Ogier d’Argouges…
— Plus nous allons, plus cette forêt devient noire !
— N’ayez crainte, dame, dit Tinchebraye à demi retourné, sa dextre appuyée sur la culière de son cheval, et voyez devant, cette lueur : nous allons quitter le couvert des arbres… C’est peut-être la closerie des Poiriers dont on nous a parlé…
— Veux-tu que nous nous y arrêtions un tantinet ?
— Non, Ogier : ce serait s’attarder vainement.
La jarissade était vaste. Sur une de ses bordures, un homme coupait du bois à grands ahans et coulées de sueur. Tinchebraye mena son cheval jusqu’à lui :
— C’est bien par là, Fougères ?
— Tout droit… Vous entrez dans la forêt de Misedon… Ne vous éloignez jamais du chemin : il y a des grands et petits étangs et certains sont pleins de bestioles…
Contre lui, Ogier perçut le frisson de Blandine.
— Quand vous parviendrez à la Croixille, la sente descendra pour franchir la Vilaine… Vous serez à Princé et entrerez dans la vallée de la Cantache…
— Tu ris… Qu’est-ce qu’elle a cette Cantache ?
— Le preux Roland l’a franchie d’un bond de son cheval… Même celui-là, ce grand destrier noir, ne pourrait en faire autant !
Et cessant de toucher le chanfrein de Marchegai, le bûcheron rempoigna sa cognée.
Ils repartirent, silencieux. Le chemin s’insinua sous les arbres ; chênes, rouvres, pins, fayards : des milliers de colonnes crépues où se répercutaient les chants d’oiseaux venant de la terre emmitouflée de ronces, de fougères, et des hauteurs plafonnées de pourpre et de cuivre. Parfois, inopiné, un étang ceint d’une aulnaie montrait sa clarté craquelée, puis c’étaient à nouveau la pénombre, les vastes voûtes de ramures et les épaisseurs de silence troublées de loin en loin d’une clarté, d’un cri ou du frémissement d’une clairière d’eau. Blandine fermait les yeux, moins de sommeil que pour échapper à l’envoûtement de cette interminable ramée sous laquelle l’air se mouillait de vert ou de noir.
— Où dois-tu le mener, ce charreton ?
— À côté de Troyes.
— Ça me paraît loin de la Normandie !
Elle parlait enfin, sans dépit ni courroux. Elle avait tout simplement peur. Pour lui. Peur aussi de la solitude. De son bras, Ogier lui ceignit la taille :
— Je partirai fin novembre… Je reviendrai en hâte… Il me faut m’acquitter. Rien ne me fera différer ma promesse.
— Et si je t’en suppliais ?
— Ce serait en vain.
— Si je voulais t’accompagner ?
— Outre que les chemins sont infestés de routiers, je te répondrais non… avec regret mais fermeté.
Blandine retomba dans ses méditations, et comme afin de mieux mener le limonier, Ogier cessait d’étreindre son épouse, elle attrapa sa main et la maintint contre son ventre.
— Non, reste ainsi… Je suis bien…
Il obéit, trouvant de la volupté dans cette sujétion-là. Le coup d’œil que Tinchebraye lui jeta ne lui fut pas désagréable. Avec Blandine, certaines faiblesses pouvaient être merveilleuses. Joubert mit un terme à cette douceur :
— Dites, messire… On choisit
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