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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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assuraient la conduite ; Marchegai les suivait, libre et paisible. Le charreton grinçait. Il semblait même, de loin en loin, qu’une des roues allait s’enfoncer jusqu’au moyeu dans une ornière, mais le limonier attelé par le mire – un grand bai cagneux de derrière – l’en tirait d’un coup de reins. C’était un bon cheval et lui aussi regardait de part et d’autre de la voie comme s’il craignait quelque embûche.
    « Le péril est loin derrière nous… Nul ne nous a vus quitter Chauvigny. Si quelque malheur avait dû nous advenir, c’est dans la forêt de Chinon qu’on nous aurait assaillis ! »
    Songeant cela et tenant de sa dextre les guides, Ogier couvrit de sa paume les mains serrées de Blandine :
    — As-tu froid ?
    Le fin profil s’anima sans pour autant quitter son expression mélancolique.
    — Un peu…
    Ogier se pencha, tira le manteau plié sous le siège :
    — Remets cette chaucemante [120] … Tu n’aurais pas dû la quitter… C’est pourtant toi qui l’as choisie à Laval !
    Elle endossa le vêtement et s’encapuchonna. Il lui jeta un coup d’œil. Il ne laissait pas d’être ému par elle. Aucune femme ne l’avait attiré ainsi.
    — Je t’aime, chuchota-t-il, mais pourquoi fais-tu ce visage-là ?
    Blandine fit « hum hum » et rentra sa tête dans son abri. Là, comme pour se soustraire à un regard de contrariété, elle demanda :
    — Qu’y a-t-il dans ce chariot ? Il faut que cela soit bien précieux pour que toi, un chevalier, conduises une charrette !… Lancelot et Gauvain en seraient morts de honte… Ne veux-tu pas me répondre ?… Est-ce que Sirvin…
    — Allons ! interrompit-il, à quoi bon me parler de cette façon un tantinet courroucée. Tu sais très bien que je dois à ce vieillard d’avoir conservé cette jambe-là, que Guichard d’Oyré – un ami peut-être de ton père – m’avait rompue… Sirvin m’a demandé, quand j’aurai le temps, d’aller porter deux pièces d’un bois très rare quelque part…
    — Où ?
    Elle ne trouvait guère singulier qu’il y eût deux morceaux de merrain dans la caisse. La destination lui importait plus que le contenu.
    — Je te dirai où plus tard.
    — Pourquoi pas maintenant ?
    — Parce que c’est ainsi.
    Avec inquiétude, il entrevoyait, après des promesses et entretiens délicieux, des exigences gênantes, insoupçonnées.
    — Tes soudoyers en savent-ils plus que moi ?
    — Non.
    Il croyait en avoir fini. Une petite main se posa sur sa cuisse. Il en sentit comme un mordillement et le trouva désagréable.
    — C’est donc un grand secret ?
    Il ne répondit pas et s’attendit à d’autres questions. Blandine dit simplement :
    — Une autre forêt…
    Défeuillée presque tout entière, ses branches et ramures exhalaient au ras des nuages leurs fumeuses ténèbres à reflets de bronze.
    Ogier fut tenté de vanter les charmes de la Normandie aux longues prairies de sinople où l’argent des ruisseaux, l’hermine des moutons, l’azur changeant de la mer et l’or mat des dunes fraîchissaient les regards et l’esprit les plus sombres. Il ne l’osa, se demandant si toutes ces beautés ne rendraient pas, aux yeux de son épouse, le château familial plus lugubre qu’il ne l’était.
    — Vivement Fougères ! dit Tinchebraye.
    — Ah ! oui, s’exclamèrent en même temps Gardic, derrière, et Bazire, devant.
    Ogier reconnut qu’il s’ennuyait à cheminer dans ces étendues silencieuses, glauques comme le fond de ce nouvel étang qu’il voyait luire, figé tel un miroir de neige, dans sa sertissure d’ajoncs. Entendant Lehubie et Delaunay s’ébaudir, il envia leur gaieté, leur simplicité. Pourtant, il percevait toujours le poids léger de l’épaule de son épouse contre la sienne, et contre sa cuisse, la fermeté de cette cuisse préservée d’un gros tissu gris ; chair laiteuse qu’une simple chandelle allumée transmutait en or délicieux… À quoi bon parler ? Blandine elle-même semblait avoir dominé l’angoisse sécrétée par cette infinité d’arbres et d’arbrisseaux noirs, couronnés d’airain, parmi lesquels de loin en loin, comme apeuré de se découvrir en si rude compagnie, un bouleau ou un tremble ployait sa hampe livide.
    — Je t’avais prévenue que ce serait long.
    — Je suis tout de même heureuse d’avoir quitté le Poitou.
    Enfermant d’un bras la taille de Blandine, Ogier songea que son élan vers lui,

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