Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
nombreux germes de discorde, des motifs de conflits, sans parler des querelles familiales, souvent graves. J'en découvre chaque jour. Ceux qui sont de souche romaine, ou le prétendent, ne marquent que du dédain pour les Goths qui le leur rendent bien. Les uns et les autres se plaignent des Juifs qui, d'ailleurs, sont loin de toujours s'entendre entre eux. On leur reproche d'accaparer tout le commerce, sur terre comme sur mer.
A juste titre?
Cette accusation est probablement excessive.
quant à nous autres, Francs, on nous reconnaît le mérite d'avoir apporté en ce pays la paix et d'avoir permis au négoce de se développer. On ne nous en considère pas moins comme des étrangers, des enva≠hisseurs venus de contrées nordiques brumeuses et
mystérieuses, pour ainsi dire comme des usurpateurs.
Et les Sarrasins?
Je doute qu'il y en ait beaucoup par ici. Les guerres de conquête qu'ils avaient menées avaient déjà
été rudes, la guerre de reconquête que nos armées ont remportée l'a été davantage encore. S'il reste des Sar≠rasins, il ne peut s'agir que de petites gens, convertis à
la vraie foi ou faisant semblant et ayant changé leur nom.
Doremus, qui avait montré de l'intérêt pour ces explications, estima que le moment était venu d'en venir à ce qui était l'objet même de l'entrevue.
-
Je comprends, dit-il, quelles difficultés ren≠contrent en ce pays Paix et Prospérité..Cependant, les
meurtres à la suite desquels je me suis fait un devoir d'alerter les conseillers de l'empereur doivent avoir des causes plus particulières et plus précises que ces antagonismes. Je sais que tes collaborateurs ont mené
depuis plusieurs semaines des recherches vigoureuses.
Mais, à moins que par discrétion ils n'aient rien laissé
transpirer de leurs succès, ils ne paraissent, pour l'heure, avoir mis au jour ni les causes des crimes, ni leurs circonstances, ni, à l'évidence, les auteurs.
Le comte prit un air mystérieux.
-
Tu comprendras que la discrétion est, en effet, indispensable en telle circonstance. Pourtant, nous pro≠gressons et j'espère pouvoir annoncer bientôt de srésultats du plus grand intérêt.
J'en accepte l'augure. Le pêcheur Faustin et son fils ont été appréhendés, je crois, et mis au cachot.
En effet : accusés de complicité !
Ont-ils avoué cette complicité?
-
Pas encore, mais cela ne saurait tarder.
Doremus jeta sur son vis-à-vis un regard aigu.
Je sais, souligna-t-il, que, sous la torture, on peut faire avouer n'importe quoi, à n'importe qui, sur n'importe quel forfait, en particulier à de pauvres diables comme Faustin et Paulin. Je dois te prévenir que mes seigneurs ont de telles méthodes en horreur.
C'est pourquoi je me permets de te conseiller vivement de ne pas y recourir. Car si cette cause, comme je l'estime nécessaire à présent, vient à être soumise à
leur haute justice, il en cuira aux tourmenteurs.
Crois-tu vraiment que de telles péripéties récla≠
ment la présence de si grands personnages ?
Je me suis contenté de les tenir au courant. Pour le reste, au su des faits, ils décideront et, sans nul doute, en accord avec l'empereur Charles le Juste.
Reste que les indications que tu leur as fournies peuvent influer sur leur décision.
N'en crois rien, je te prie ! Je ne leur ai rapporté
que des faits avérés, ceux qui sont connus de moi et rien d'autre, en particulier aucun commentaire. D'ail≠leurs l'abbé Erwin et le comte Childebrand ne sont pas
de ceux qui s'en laissent conter. qui pourrait tromper leur perspicacité n'est pas encore né !
J'espère que mes enquêteurs mèneront leurs
recherches avec assez de diligence pour que je sois en mesure de leur fournir, s'ils me font l'honneur d'une visite, le ou les noms des coupables, les circonstances et les raisons des crimes. Comme le courrier portant ton message a quitté nos murs il y a peu de jours, cela laisse aux miens un mois environ, me semble-t-il, pour mener l'enquête à son terme.
Je souhaite vivement qu'elle soit couronnée de succès.
Doremus ajouta en prenant congé :
-
Mais, quant aux aveux extorqués sous la tor≠ture...
Le Burgonde et son truchement, après avoir chevau≠ché une journée entière pour gagner Agde, o˘ ils arri≠vèrent fourbus, furent heureux d'y trouver, malgré l'heure tardive, une chambre à l'auberge la mieux fré≠quentée de la ville, évitant ainsi de passer la nuit dans un dortoir, lieu souvent sale, bruyant,
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