Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
voire dangereux.
Dès le lendemain matin, ils commencèrent la recherche de cet Amalbert pour lequel Laure avait quitté son époux Harbald le Jeune.
Doremus, avec l'aide de Nogret, entreprit d'inter≠roger l'aubergiste qui se récusa : non, il ne connaissait personne de ce nom-là et, même s'il le connaissait, il ne dirait rien !
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J'ai bien assez à faire avec mes clients, jeta-t-il, pour ne pas me mêler des affaires des autres.
Au contraire de son aide que cette rebuffade avait déçu, l'ancien rebelle y puisa un réconfort. Le ton qu'avait employé l'hôtelier, l'air qu'il avait pris pour refuser de répondre, prouvaient, selon lui, que l'homme ne lui était pas inconnu et qu'il devait jouir d'une mauvaise réputation.
En s'informant auprès de taverniers et de négo≠ciants, Doremus et Nogret finirent par recueillir un renseignement de la bouche d'un colporteur auquel le don d'une obole rafraîchit la mémoire : il avait ren≠contré
quelques fois cet Amalbert qui habitait un peu à l'écart de la ville.
Un drôle d'homme, précisa-t-il, peu causant et gardé par des molosses qu'il l‚che sur ceux qui approchent sa villa de trop près.
Jeune ? demanda Doremus.
Oui, plutôt, dans les trente ans, grand, fort, un visage taillé à la serpe et des petits yeux gris qui vrillent : un air à te donner froid dans le dos.
De quoi s'occupe-t-il?
De négoce, je ne sais pas lequel.
__ Vraiment ?
__ Je t'en ai déjà trop dit, conclut le colporteur en tournant les talons.
Après des heures d'enquête, Doremus finit par apprendre que la villa d'Amalbert se situait au cúur d'épais taillis dans un bois de pins, à
faible distance d'un étang d'o˘ l'on pouvait gagner la mer. Dès lors, l'assistant des missi et son compagnon, en continuant à s'informer auprès de cultivateurs et de maraîchers, purent parvenir à ce domaine auquel menait un chemin empierré. Ils arrivèrent ainsi en vue d'une imposante maison au toit de lauzes. Elle était précédée d'un jardin d'agrément avec des bassins, à sec d'ailleurs, et flan≠quée d'un verger et d'un vaste potager. Derrière cette demeure se dressaient des granges, une bergerie, une étable, une écurie et d'autres b‚timents tels que forge, atelier de poterie. Un mur de moellons entourait et pro≠tégeait cet ensemble auquel on pouvait accéder par un portail, présentement fermé.
Descendus de cheval, les deux voyageurs en secouèrent bruyamment les vantaux sans que personne n'apparaisse et sans provoquer l'irruption de chiens de garde. Ils hélèrent d'éventuels occupants. En vain. Ils entreprirent alors de faire le tour de la villa en suivant un chemin de ronde qui en longeait l'enceinte. Ils arri≠vèrent de la sorte, à l'opposé
de l'entrée principale, à une autre partie de la propriété, enclose elle aussi, mais de façon plus rudimentaire. Elle communiquait avec la précédente par une lourde porte renforcée par de fortes traverses. Une ouverture simplement masquée par des arbustes épineux leur permit d'y pénétrer. Sur un emplacement de terre battue, des abris de grande dimension, faits simplement de toits reposant sur une charpente, avaient été édifiés. Des madriers portant de solides anneaux de fer avaient été
enfoncés dans le sol tous les trois ou quatre pas. Le Burgonde et son aide se regardèrent avec un air entendu.
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Camp de passage pour esclaves, murmura
Nogret.
Doremus approuva d'un hochement de tête.
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Plus de doute donc, dit-il, sur le négoce de cet Amalbert, du moins sur l'un de ses négoces. Cepen≠dant, que je sache, le commerce des esclaves n'est pas
interdit. Alors pourquoi tout ceci, cet éloignement, ces précautions? Je n'aperçois pour l'heure qu'une expli≠cation : échapper au paiement des droits qui frappent
tout négoce, en particulier celui-ci, et aussi, sans doute, se soustraire aux vérifications dont il fait l'objet.
Nogret se gratta la nuque.
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Voilà qui ne doit plaire ni au comte ni à l'arche≠vêque, auxquels sont destinés ces droits, et en consé≠quence qui doit inciter l'un et l'autre à rechercher et
punir le coupable. Les ch‚timents prévus sont lourds.
Mais peut-être le maître de ces lieux avait-il un autre souci. Je ne t'apprendrai certainement rien, maître, en rappelant qu'il ne suffit pas d'amener jusqu'au rivage les troupeaux de ces malheureux promis à un cruel exil.
Ce qui n'est déjà pas si simple.
Il faut aussi les acheminer jusqu'à ceux qui les ont
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