Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
ferions appel à toi. Nous ne manquerons pas d'ailleurs de te tenir au courant des développements de nos investigations, afin de bénéfi≠
cier de tes avis.
Mon aide vous est acquise, vous le savez.
Après que l'archevêque eut pris congé de ses hôtes qui l'avaient raccompagné jusqu'au porche de l'hôtel, Erwin s'arrêta, l'air songeur, dans le vestibule.
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Je ne suis pas certain, dit-il à son ami, que ce malheureux Barnabe ait à se féliciter d'être jugé par un tribunal ecclésiastique présidé par Nebridius. Avec notre longue connaissance des turpitudes humaines, nous aurions pu lui trouver des circonstances atté≠nuantes. Je doute que ses supérieurs et pairs lui en
trouvent beaucoup.
Fallait-il à présent interroger Foucaud lui-même? Childebrand et Erwin estimèrent préférable de différer cette initiative.
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Même si nous le contraignions à passer aux
aveux quant à la naissance de Laetitia et à l'utilisation scandaleuse qu'il en a faite, nous n'en apprendrions guère plus, souligna le Saxon. L'homme est habile, effronté et retors. Il nous paierait de fables et de men≠
songes. Il vaut mieux que nous le laissions sous la menace angoissante d'une comparution qui fondrait sur lui à l'improviste.
Erwin regarda au loin avec un air qui exprimait son irritation et sa détermination.
Il est grand temps, d'ailleurs, de donner une impulsion nouvelle à nos investigations, l‚cha-t-il, et de pousser tous ces menteurs et dissimulateurs dans leurs derniers retranchements.
Il est vrai que les prétendues confessions de celui-ci et de celui-là commençaient à m'échauffer la bile ! grommela le comte. Il me tarde que nous obte≠
nions de quoi leur plonger le nez dans leur bren !
CHAPITRE VI
Dès le lendemain matin, le frère Antoine et Nogret se rendirent, près de Moussan, à l'orée du bois o˘ Lae≠titia avait été peut-être enlevée pour parcourir à cheval un des itinéraires menant de la propriété d'Octavien aux étangs, celui qui contournait Narbonne par le nord et l'est, en vue de découvrir d'éventuels témoins.
La première partie en était constituée par un réseau de sentes desservant des propriétés maraîchères gagnées par drainage sur des marais. Le moine et son truchement ne purent rien obtenir de cultivateurs et jar≠diniers qui ne répondirent que du bout des lèvres à ces " étrangers " qui les pressaient de questions : non, rien n'avait attiré leur attention à l'époque de ces noyades dont ils avaient vaguement entendu parler.
Au sortir de ces terres bourbeuses, le frère Antoine et Nogret furent fort aises de trouver une voie bien empierrée se dirigeant vers le sud, en l'occurrence la route menant directement de Narbonne à Gruissan et à la côte. Ils firent halte dans des auberges et buvettes qui la jalonnaient sans plus de succès. Les riverains de cette voie très fréquentée ne prêtaient guère attention à ceux qui l'empruntaient. Il aurait fallu un événement exceptionnel pour qu'ils l'eussent remarqué.
Comme ils progressaient vers le sud, alors que leur parcours longeait par places le nord de l'étang de Campignol, ils observèrent que des sentiers s'en déta≠chaient vers la droite, permettant sans doute de gagner des appontements, des embarcadères ou encore des plages accessibles aux bateaux. A un carrefour se dres≠sait un de ces mas o˘ l'on trouvait d'ordinaire de quoi se désaltérer et se restaurer. Ils y entrèrent pour y obte≠nir une collation et surtout pour se renseigner.
L'aubergiste, épouse d'un pêcheur, à la vue d'un denier, s'empressa d'apporter aux voyageurs une ome≠lette au jambon, des sardines grillées sur un feu de sar≠ments et une tourte au fromage, accompagnées par un rosé
gouleyant, collation qu'ils déclarèrent excellente. Ils proposèrent à la patronne de s'asseoir à leur table pour qu'ils puissent déguster ensemble un second fla≠con de " ce merveilleux vin des sables ". Elle accepta sans faire de façons et, tandis qu'ils bavardaient, Nogret traduisant librement les propos du moine, celui-ci orienta la conversation vers les " horribles for≠faits " qui avaient mis tout le pays en émoi.
C'est drôle ce que vous me dites là, déclara
l'hôtesse. Figurez-vous que j'ai aperçu ce soir-là -
c'était la veille du jour o˘ on a découvert la première de ces malheureuses noyées, vous pensez si je m'en souviens - quelque chose de pas net : une charrette éclairée par une seule lanterne
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