Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon

pour la satisfaire, pour la calmer, la remettre dans le droit chemin. Rien n'y avait fait. Son départ scanda≠leux, sa liaison avec " cet homme de sac et de corde " n'étaient en somme que la conséquence de son ignomi≠nie et de sa folie.
    Si je te comprends bien, rien de nouveau dans ce réquisitoire par rapport au témoignage du père.

    Sinon des reproches un peu plus explicites.
    Ce qui ne veut pas dire mieux fondés ?
    Je ne le crois pas. Sinon également cette obser≠
    vation : Harbald, que j'avais connu jusque-là plutôt enjoué, bon vivant, m'est apparu alors avec un visage étrange à l'expression fermée, le regard tourné vers le dedans comme s'il était en proie à des pensées impé≠
    rieuses et mystérieuses, un regard aux lueurs inquié≠
    tantes !
    De quoi donner prise à de graves soupçons?
    Ils me sont venus immédiatement à l'esprit.
    D'o˘ les vérifications que j'ai entreprises. Profitant enfin de ma parenté, j'ai pu interroger les domestiques de mes cousins. J'ai d'abord constaté qu'ils ne por≠
    taient pas Harbald dans leurs cúurs et se méfiaient de Geroul, qu'ils avaient eu pour Laure, en revanche, un respect et une affection sincères, car elle les préservait tant bien que mal des exigences excessives, voire des sévices de leurs maîtres. Tous se sont déclarés profon≠
    dément atteints par la mort cruelle de leur maîtresse.
    Peut-être leurs ressentiments les ont-ils portés à
    formuler contre Geroul et son fils de graves accusa≠
    tions? suggéra le comte.
    Doremus passa la main sur son cr‚ne chauve.
    -
    Ils auraient aimé en effet pouvoir le faire, je crois. Ils n'ont pas pu!
    - Comment cela?
    Il est avéré que Harbald et son père ont passé à
    Narbonne toute la journée qui a précédé la découverte de la noyée. Ils ont soupe avec des amis au domicile de Geroul, se sont couchés assez tard et ont dormi d'une traite. Après la collation du petit matin, ils ont repris leurs occupations ordinaires jusqu'au moment o˘ on est venu leur apprendre la sinistre nouvelle.
    Des témoignages auxquels on peut accorder foi ?
    demanda Erwin.
    Oui, car j'en ai recueilli auprès d'une dizaine de serviteurs, servantes et artisans drapiers. Tous ont confirmé sans hésitation cette version des faits.
    Par les cornes de Belzébuth, c'est incroyable !
    s'écria le Nibelung. Chaque fois que nous pensons avoir découvert une piste, c'est une impasse! Ces mal≠
    heureuses ne se sont tout de même pas noyées toutes seules après s'être attaché elles-mêmes les chevilles et les poignets derrière leur propre dos !
    C'est peu probable, approuva le Saxon avec
    calme.
    La démarche de l'archevêque Nebridius, se présen≠tant de lui-même à l'hôtel de la mission impériale moins de trente-six heures après la comparution d'Octavien et de Fabian pour avoir avec les missi dominici " un tête-à-tête nécessaire et urgent ", consti≠tua pour ceux-ci une surprise. Ils ne s'attendaient pas qu'il décide d'intervenir aussi promptement après avoir été informé par le notable, selon toute vraisem≠blance, des aveux que son fils et lui-même avaient d˚ faire.
    Nebridius, comme jadis Alcuin, comme le poète et théologien Théodulf, l'archevêque Agobard ou encore Benoît d'Aniane, comme Erwin et Childebrand eux-mêmes, jouissait de toute la confiance de l'empereur. Il était d'ailleurs lié d'amitié avec le Nibelung et avec le Saxon. Ceux-ci le reçurent donc avec les plus grands égards. Malgré leurs marques d'estime et de confiance, il se présenta avec un visage soucieux, hésitant sur la conduite à tenir, ne sachant pas de toute évidence com≠ment aborder l'affaire qui l'avait amené à cette entre≠vue.
    -
    Nous savons, le comte et moi-même, dit Erwin, désireux de lui faciliter la t‚che, ce qui te préoccupe comme nous et qui est en rapport avec les meurtres, stupéfiants de sauvagerie, perpétrés récemment : il s'agit en particulier des révélations concernant la nais≠
    sance et la filiation de Laetitia, que le Très-Haut la prenne en pitié !
    L'archevêque jeta à l'abbé un regard reconnaissant.
    -
    Comme vous l'avez compris, expliqua-t-il, Octavien et Fabian, après vous avoir confessé la vérité, n'ont pu continuer à taire un secret qui les étouffait. Ils ont sollicité une audience au cours de laquelle ils m'ont tout avoué. J'en ai été abasourdi. quoi? Un mensonge de cette ampleur et de si lourdes consé≠
    quences? Des actions aussi bl‚mables